Walkait, Shoa et dans le Tigré, la rébellion éclata
simultanément. Théodoros avait abandonné depuis quelque temps son
idée de conquête à l'étranger, et il avait fait tout son possible pour
écraser l'esprit de rébellion de son peuple. Tandis que les provinces
rebelles étaient mises an pillage, les paysans, protégés par leurs hautes
montagnes, ne purent être attaqués; ils attendirent tranquillement le
départ de l'envahisseur, et puis retournèrent à leurs huttes désolées,
cultivant juste ce qu'il leur fallait pour vivre. C'est ainsi que, à quelques
exceptions près, les paysans évitèrent la vengeance terrible de leur
nouvel empereur. Son armée eut bientôt à souffrir de cette façon de
guerroyer. Le nombre des provinces à dévaster diminuait d'année à
année; une grande famine éclata; d'immenses territoires, tels que ceux
de Dembea, de Gondar, le grenier et le centre de l'Abyssinie, après
avoir été pillés, ne furent plus cultivés. Les soldats, autrefois bien
entretenus, rôdaient maintenant à demi affamés et mal vêtus, ayant
perdu toute confiance dans leurs chefs, les désertions devinrent
nombreuses, et plusieurs retournèrent dans leurs provinces natales se
joindre au nombre des mécontents.
La chute de Théodoros fut plus rapide que son élévation. Il ne fut
jamais vaincu sur le champ de bataille; car depuis l'exemple de
Négoussié, personne n'osa lui résister; mais il était impuissant contre la
passivité et la tactique à la Fabius de leurs chefs. Ne se fixant jamais,
toujours en marche, son armée diminuait de force de jour en jour. Il
allait de province en province, mais en vain: tout disparaissait à son
approche. Il n'y avait pas d'ennemis; mais il n'y avait pas de nourriture!
A la fin, poussé à la dernière extrémité, il n'eut d'autre alternative, pour
conserver quelques restes de son ancienne armée, que de piller les
provinces qui lui étaient restées fidèles.
Lorsque je rencontrai pour la première fois Théodoros, en janvier 1866,
il devait avoir environ quarante-huit ans. Il avait le teint plus noir que la
plupart de ses concitoyens, le nez légèrement courbé, la bouche grande
et les lèvres si minces, qu'elles étaient à peine visibles. De taille
moyenne, bien pris, vigoureux plutôt que musculeux, il excellait dans
les exercices à cheval, dans l'usage de la lance, et à pied fatiguait ses
plus hardis compagnons. L'expression de ses yeux noirs, à demi fermés,
était étrange; s'il était de bonne humeur, cette expression était tendre,
accompagnée d'une douce timidité de gazelle, qui le faisait aimer; mais
lorsqu'il était en colère, ses yeux farouches et injectés de sang
semblaient lancer du feu. Dans ses moments de violente passion, sa
personne entière était effrayante: son visage noir prenait une teinte
cendrée, ses lèvres minces et comprimées ne traçaient qu'une ligne
légère autour de sa bouche, ses cheveux noirs se hérissaient, et sa
manière d'agir tout entière était un terrible exemple de la plus sauvage
et de la plus ingouvernable fureur.
De plus, il excellait dans l'art de tromper ses compagnons. Peu de jours
avant sa mort, quand nous le rencontrâmes, il avait encore toute la
dignité d'un souverain, l'amabilité et la bonne éducation du gentleman
le plus accompli. Son sourire était si attrayant, ses paroles étaient si
douces et si persuasives, qu'on ne pouvait croire que ce monarque si
affable fût un fourbe consommé.
Il ne commit jamais un meurtre, soit par tromperie soit par cruauté,
sans alléguer quelque excuse spécieuse, de manière à faire croire que,
dans toutes ses actions, il ne se laissait guider que par la justice. Par
exemple, il pilla Dembea, parce que ses habitants étaient trop
favorables aux Européens, et Gondar, parce qu'un de nos envoyés avait
été trahi par les habitants de cette ville. Il détruisit Zagé, grande et
populeuse cité, _parce qu_'il prétendait qu'un prêtre de cette ville avait
été grossier à son égard. Il fit charger de chaînes son père adoptif,
Cantiba Hailo, _parce qu_'il avait pris à son service une servante que
lui, Théodoros, avait renvoyée. Tesemma Engeddah, chef héréditaire de
Gahinte, encourut sa disgrâce parce que, après une bataille contre les
rebelles, il s'était montré trop sévère; tandis que notre geôlier en chef
fut pris an milieu du camp et jeté dans les fers, _parce qu_'il avait été
autrefois l'ami du roi de Shoa. Je pourrais encore citer cent exemples de
son hypocrisie habituelle. Quant à nous, il nous arrêta sous prétexte que
nous n'avions pas amené les premiers captifs avec nous. M. Stern fut
presque tué, simplement pour avoir porté la main à son visage, et il
emprisonna le consul Cameron pour être allé chez les Turcs, an lieu de
lui avoir rapporté une réponse à sa lettre.
Théodoros avait tous les goûts du Bédouin rôdeur. Il aimait la vie des
camps, l'air libre de la plaine, l'aspect de son armée gracieusement
campée autour d'une colline qu'il avait lui-même choisie; et il préférait
au palais
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