Ma Cousine Pot-Au-Feu | Page 8

Leon de Tinseau
mit fin en me disant d'une voix qui me parut tr��s dure:
--Monte chez ta grand'm��re et prie-la de venir ici toute seule; toute seule, tu entends? Vas vite, ne dis rien de plus.
J'escaladai l'immense escalier en quelques bonds. Je me sentais devenir �� la fois tr��s grand, �� cause du r?le que le hasard me donnait dans ce qui me paraissait un drame �� peine vraisemblable, et tr��s petit par le sentiment que j'avais de mon inexp��rience et de ma faiblesse en face de ces ��v��nements inou?s.
--Grand'm��re, m'��criai-je tout essouffl��, oubliant un peu l'��tiquette respectueuse qui ��tait de r��gle �� Vaudelnay, il faut descendre au salon, tout de suite, tout de suite! Et surtout n'amenez personne. Ah! mon Dieu! si vous saviez!....
Une jeune femme, �� ce message d��livr�� si prudemment, serait tomb��e dans une crise de nerfs. Mais ma vaillante a?eule en avait vu bien d'autres, comme beaucoup de ses contemporaines. Elle se leva de son fauteuil, remit dans sa poche quelque chose qui, sans doute, ��tait son chapelet, et m'examinant de la t��te aux pieds, me demanda:
--Qu'y a-t-il donc? Une visite?
--L'oncle Jean! r��pondis-je en mettant un doigt sur mes l��vres, et en parlant presque �� voix basse.
L��-dessus je m'��loignai, ou pour mieux dire je m'enfuis, trouvant que c'��tait encore le meilleur moyen de n'��tre pas oblig�� de ? dire autre chose ?. Dans le fond de moi-m��me, j'��tais assez flatt�� de renverser les r?les. A cette heure, c'��tait moi qui laissais les autres se creuser la t��te et qui refusais de r��pondre �� leurs questions.
Pour ��tre franc, j'avais peu de m��rite �� ne pas y r��pondre. D'o�� tombait cette petite fille endormie? Au retour de chacun de ses voyages, l'oncle Jean,--c'��tait une habitude chez lui,--rapportait �� Vaudelnay quelque animal exotique, g��n��ralement assez mal re?u. Serins de Hollande, marmottes des Alpes, chiens des Pyr��n��es, tortues d'Egypte, singes d'Alg��rie, j'avais vu successivement tous ces ��chantillons du r��gne animal sortir de ses bagages. Mais une petite fille! c'��tait du nouveau, et tout en redescendant l'escalier sans fermer les portes derri��re moi,--d��cid��ment nous ��tions en pleine anarchie,--je me demandais:
--Va-t-on lui faire, �� elle aussi, une cage o�� j'irai lui porter du lait et des coeurs de laitue, �� l'heure de mes r��cr��ations?
Quand je rentrai dans la pi��ce, la nouvelle acquisition de l'oncle Jean dormait toujours, et son propri��taire, agenouill�� devant le canap��, la d��vorait des yeux. De temps en temps il ��changeait des sons inintelligibles avec une femme d'aspect modeste, encore jeune, coiff��e d'un objet bizarre en paille noire, qui se tenait debout, le regard fix�� sur l'enfant, sans faire plus d'attention �� ce qui l'entourait, voire m��me �� mon humble personne, que si elle e?t ��t�� l�� depuis dix ans. L'oncle Jean, �� la fois radieux et absorb��, semblait ravi dans l'extase de la pri��re, et je ne pus m'emp��cher de me dire que je ne l'avais jamais vu si d��vot, m��me le dimanche, au moment de l'��l��vation de la messe.
Nous ��tions l��, rang��s comme les animaux de la Cr��che autour de l'enfant J��sus, quand ma grand'm��re fit sont entr��e. Mon oncle resta comme il ��tait, mais il fit un quart de conversion sur ses genoux, si bien que ce fut �� la chatelaine de Vaudelnay qu'il semblait, �� cette heure, adresser sa pri��re.
--Ma soeur, dit-il, d'une voix tr��s douce, presque craintive (et cependant je voyais le sillon trac�� par la balle dans le crane de ce pusillanime), ma soeur, elle avait une petite fille. Voulez-vous, pour la grace du bon Dieu que vous aimez tant, recevoir chez vous la pauvre orpheline sans abri?
J'ai vu depuis, dans plus d'un oeil f��minin, les ��clairs des passions, des tendresses, des enthousiasmes qui peuvent y luire, effrayantes ou sublimes. Jamais je n'ai vu la bont��, la compassion, la charit�� avec sa douce flamme, embellir �� ce point un visage rest�� plein de grace sous ses cheveux blancs. O grand'm��re, comme je vous remercie d'avoir fait comprendre �� ma jeune t��te blonde ce que ma vieille t��te grise croit encore aujourd'hui, elle qui a d��sappris tant d'autres articles de foi du symbole humain!
Oui, toutes les raisons qui peuvent nous faire tomber �� genoux devant les femmes, la meilleure de toutes est leur bont��--quand elles sont bonnes.
On n'arrive pas �� onze ans, m��me dans un chateau du Poitou sous la deuxi��me r��publique, sans avoir lu beaucoup d'histoires d'enfants recueillis par des ames charitables, et Dieu sait qu'il n'existait pas, de Tours �� Angoul��me, une chr��tienne plus charitable que la marquise de Vaudelnay. Je m'attendais donc, surtout apr��s le regard que je viens de d��crire, �� voir ma grand'm��re ��treindre sa petite ni��ce dans ses bras, car je comprenais bien que c'��tait la petite-fille de mon oncle, ma cousine issue de germains, qui dormait l�� d'un sommeil d��j�� r��sign��, comme un agneau s��par�� le matin de sa m��re.
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