Ma Cousine Pot-Au-Feu | Page 9

Leon de Tinseau
J'avais envie de crier �� mon oncle:
--Mais relevez-vous donc! On dirait que vous demandez quelque chose de difficile!
Probablement que le pauvre baron savait mieux que moi la difficult�� de ce qu'il demandait, car il restait �� genoux, un oeil sur le visage de l'enfant ou les premi��res contractions du r��veil se manifestaient, l'autre sur ma grand'm��re qui, �� cette heure, semblait r��fl��chir. Ah! si l'on m'avait dit la veille que ? notre ma?tresse ?, ainsi que l'appelaient les villageois, aurait eu besoin de _r��flexion_ pour accueillir non pas une pauvre orpheline sortie du sang des Vaudelnay, mais la fille de la plus inconnue des mendiantes!
Comme si elle avait voulu gagner du temps, ma grand'm��re fit cette question que je ne pus m'emp��cher de trouver au moins inutile dans la circonstance:
--Mon pauvre Jean, pourquoi ne nous avez-vous pas dit qu'elle avait une fille?
L'oncle r��pondit en serrant les machoires, comme s'il avait broy�� ses paroles avant de les laisser sortir:
--Tout simplement parce que je n'en savais rien.
--Pauvre mignonne! Elle vous ressemble.
J'avais toujours _consid��r��_ les jugements de ma v��n��rable a?eule comme infaillibles; mais, cette fois, le doute p��n��tra dans mon ame. Si ce petit visage rose entour�� de cheveux noirs emm��l��s ressemblait �� cette figure aux tons de parchemin, coup��e durement d'une moustache grise, surmont��e d'une chevelure taill��e en brosse, on pouvait aussi bien dire que je rappelais les diables cornus sculpt��s dans le portail de Sainte-Radegonde.
--Attendez-moi, dit soudain ma grand'm��re; je vais parler �� celui qui est le ma?tre ici. Esp��rons qu'il c��dera.
Sur ces entrefaites, l'enfant s'��tait ��veill��e et tournait autour d'elle, sans remuer la t��te, des yeux effar��s, si noirs qu'on aurait dit deux petits globes de charbon nageant dans deux cuiller��es de lait. Mon a?eule demanda:
--Comment se nomme la petite?
--Rosamonde.
Je vis que ce nom bizarre ne produisait pas une impression excellente sur celle qui l'entendait. N��anmoins la chatelaine se penchait tendrement sur sa petite-ni��ce pour l'embrasser, lorsque l'enfant, �� la vue de ce visage inconnu qui s'approchait du sien, se mit �� pousser des cris de M��lusine.
--Pour l'amour du ciel, faites-la taire! s'��cria ma grand'm��re en se retirant, un peu d��courag��e.
Moi je pensais:
--Rosamonde, ma ch��re, vous faites une fameuse b��tise pour vos d��buts �� Vaudelnay. Ne pas vouloir embrasser grand'm��re!
D��j�� la femme au chapeau de paille noire s'��tait approch��e de sa pupille et cherchait �� l'apaiser, en lui parlant dans cette m��me langue myst��rieuse.
--Attendez-moi, r��p��ta mon a?eule. Je vais parler �� mon mari. Toi, Gaston, va travailler �� tes devoirs jusqu'au d?ner.

V
Tout on faisant semblant de travailler, je pr��tais l'oreille pour deviner le sort de la pauvre Rosamonde, mais le chateau ��tait si grand qu'on aurait pu donner un bal �� une extr��mit��, et c��l��brer des fun��railles �� l'autre, sans que les invit��s respectifs �� chacune des c��r��monies en ��prouvassent la moindre g��ne.
Toutefois quand j'entrai dans la salle �� manger, une bonne heure plus tard, je crus comprendre que tout ��tait arrang�� pour le mieux. A l'autre bout de la longue table, en face de ma chaise, un fauteuil d'enfant tr��s haut sur pieds, ma propri��t�� d'autrefois, supportait d��j�� mademoiselle Rosamonde. Et telle ��tait la discipline s��v��re de Vaudelnay que tout le monde prit sa place sans para?tre faire attention �� la nouvelle venue qui, tout au contraire, d��visageait avec une sorte d'effroi--silencieux, Dieu merci!--toutes ces figures inconnues. Elle mangeait sans rien dire, d'assez bon app��tit, servie par sa gouvernante, couv��e �� la d��rob��e par les regards de huit paires d'yeux ou plut?t de sept, car le chef de la famille ne tourna pas une seule fois le visage du c?t�� de la pauvrette. A la fin, elle prit le parti de s'endormir, �� mon grand effroi, car je savais par exp��rience de quels chatiments une pareille infraction aux convenances ��tait punie. J'aurais voulu ��tre �� c?t�� d'elle pour la pincer et lui ��pargner les d��sagr��ments qui l'attendaient. Mais il faut croire que, pour ce premier soir, l'amnistie ��tait prononc��e d'avance, car personne n'eut l'air de rien voir. Le moment venu de se rendre �� l'office pour la pri��re, mon oncle dit quelques mots en anglais--j'ai fait depuis de s��rieux progr��s dans cette langue--�� la gouvernante de sa petite-fille, qui fut doucement tir��e de son sommeil. Tous trois, alors, se dirig��rent vers la porte de droite qui conduisait aux appartements, tandis que le reste de la famille gagnait la porte de gauche, celle de la galerie. A ce moment, la crise recul��e ou dissimul��e jusqu'�� cette heure ��clata, lorsque personne ne l'attendait. Mon grand-p��re s'arr��ta court, se tourna vers le groupe des dissidents et d'une voix d'autorit�� qu'on entendait rarement, que je n'entendais jamais sans frissonner de tous mes membres, il demanda:
--Pourquoi cette enfant ne vient-elle pas prier avec tout le monde?
Un l��ger tressaillement se fit voir sur les traits de l'oncle Jean, comme �� l'approche d'un danger. Il r��pondit
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