des yeux de Pallas-Athénée à laquelle Homère donne invariablement l'épithète [Grec: glauk?pis], son nez d'un noir velouté ayant le grain d'une fine truffe de Périgord, ses moustaches d'une mobilité perpétuelle, lui composaient un masque d'une expression toute particulière. Son poil, d'un noir superbe, frémissait toujours et se moirait d'ombres changeantes. Jamais bête ne fut plus sensible, plus nerveuse, plus électrique. Quand on lui passait deux ou trois fois la main sur le dos, dans l'obscurité, des étincelles bleues jaillissaient de sa fourrure, en pétillant. Eponine s'attacha particulièrement à nous comme l'Eponine du roman à Marius; mais, moins préoccupé de Cosette que ce beau jeune homme, nous acceptames la passion de cette chatte tendre et dévouée, qui est encore la compagne assidue de nos travaux et l'agrément de notre ermitage aux confins de la banlieue. Elle accourt au coup de sonnette, accueille les visiteurs, les conduit au salon, les fait asseoir, leur parle,--oui, leur parle,--avec des ramages, des murmures, de petits cris qui ne ressemblent pas au langage que les chats emploient entre eux, et simulent la parole articulée des hommes. Que dit-elle? elle dit de la manière la plus intelligible: ?Ne vous impatientez pas, regardez les tableaux ou causez avec moi, si je vous amuse; Monsieur va descendre.? à notre entrée, elle se retire discrètement sur un fauteuil ou sur l'angle du piano et écoute la conversation, sans s'y mêler, comme un animal de bon go?t et qui sait son monde.
La gentille Eponine a donné tant de preuves d'intelligence, de bon caractère et de sociabilité, qu'elle a été élevée d'un commun accord à la dignité de personne, car une raison supérieure à l'instinct la gouverne évidemment. Cette dignité lui confère le droit de manger à table comme une personne et non dans un coin, à terre, sur une soucoupe, comme une bête. Eponine a donc sa chaise à c?té de nous au déjeuner et au d?ner; mais, vu sa taille, on lui a concédé de poser sur le bord de la table ses deux pattes de devant. Elle a son couvert, sans fourchette ni cuiller, mais avec son verre; elle suit tout le d?ner plat par plat, depuis la soupe jusqu'au dessert, attendant son tour d'être servie et se comportant avec une décence et une sagesse qu'on souhaiterait à beaucoup d'enfants. Au premier tintement de cloche elle arrive; et quand on entre dans la salle à manger on la trouve déjà à son poste, debout sur sa chaise et les pattes appuyées au rebord de la nappe, qui vous présente son petit front à baiser, comme une demoiselle bien élevée et d'une politesse affectueuse envers les parents et les gens agés.
On trouve des pailles au diamant, des taches au soleil, des ombres légères à la perfection même. Eponine, il faut l'avouer, a un go?t passionné pour le poisson; ce go?t lui est commun avec tous les chats. Contrairement au proverbe latin:
Catus amat pisces, sed non vult tingere plantas,
elle tremperait volontiers sa patte dans l'eau pour en retirer une ablette, un carpillon ou une truite. Le poisson lui cause une espèce de délire, et, comme les enfants qu'enivre l'espoir du dessert, quelquefois elle rechigne à manger sa soupe, quand les notes préalables qu'elle a prises à la cuisine lui font savoir que la marée est arrivée, et que Vatel n'a aucune raison de se passer son épée à travers le corps. Alors on ne la sert pas, et on lui dit d'un air froid: ?Mademoiselle, une personne qui n'a pas faim pour la soupe ne doit pas avoir faim pour le poisson?, et le plat lui passe impitoyablement sous le nez. Bien convaincue que la chose est sérieuse, la gourmande Eponine avale son potage en toute hate, lèche la dernière goutte de bouillon, nettoie la moindre miette de pain ou de pate d'Italie, puis elle se retourne vers nous et nous regarde d'un air fier, comme quelqu'un qui est désormais sans reproche, ayant accompli consciencieusement son devoir. On lui délivre sa part, qu'elle expédie avec les signes d'une satisfaction extrême; puis, ayant taté de tous les plats, elle termine en buvant le tiers d'un verre d'eau.
Quand nous avons quelques personnes à d?ner, Eponine, sans avoir vu les convives, sait qu'il y aura du monde ce soir là. Elle regarde à sa place, et, s'il y a près de son assiette couteau, cuiller et fourchette, elle décampe aussit?t et va se poser sur un tabouret de piano, qui est son refuge en ces occasions. Ceux qui refusent le raisonnement aux bêtes expliqueront, s'ils le peuvent, ce petit fait, si simple en apparence, et qui renferme tout un monde d'inductions. De la présence près de son couvert de ces ustensiles que l'homme seul peut employer, la chatte observatrice et judicieuse déduit qu'il faut céder, ce jour-là, sa place à un convive, et elle
Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.