avant que vous n'y soyez venu,
afin qu'on n'ait pas à m'aller chercher, et de vous prendre le moins de
temps possible.» Il m'avertissait des germes de dissentiment, des
susceptibilités ou des embarras qui semblaient poindre dans l'intérieur
du cabinet, et mettait tous ses soins à les étouffer. Dans les premiers
temps, il eut, sous ce rapport, peu à faire; mes amis particuliers, MM.
Duchâtel, Humann et Villemain occupaient les principaux postes de
l'administration; le maréchal Soult était content de sa position et sans
prétentions importunes; MM. Cunin-Gridaine et Martin (du Nord)
représentaient fidèlement ce centre de la Chambre des députés qui ne
m'avait pas suivi, en 1839, dans la coalition contre M. Molé, mais qui,
en 1840, se ralliait franchement à moi, pressé par ses inquiétudes pour
l'ordre et la paix. Je pouvais compter sur l'harmonie et l'action
commune du cabinet comme sur l'appui du roi.
Dès le début de la session, dans la discussion des adresses de l'une et de
l'autre Chambre en réponse au discours du trône, la question fut
nettement posée: «Pourquoi le cabinet du 29 octobre a-t-il remplacé
celui du 1er mars? dit M. Thiers: parce que le cabinet du 1er mars
pensait que, dans certains cas, il faudrait faire la guerre. Pourquoi le
cabinet du 29 octobre est-il venu? Il est venu avec la paix certaine.» Je
lui répondis sur-le-champ: «L'honorable M. Thiers vient de dire: «Sous
le ministère du 29 octobre, la question est résolue, la paix est certaine.
L'honorable M. Thiers n'a dit que la moitié de la vérité: sous le
ministère du 1er mars, la guerre était certaine.» Nous avions tous deux
raison; les deux politiques en présence après le traité du 15 juillet 1840
menaient en effet l'une à la guerre, l'autre à la paix. Mais après avoir
ainsi accepté, pour l'une et pour l'autre, leur vrai nom, je m'empressai
d'ajouter: «Maintenant, ne nous jetons pas mutuellement à la tête ces
mots:--La guerre à tout prix, la paix à tout prix.--Gardons tous deux la
justice. Non, vous n'étiez pas le cabinet de la guerre à tout prix, pas
plus que nous ne sommes le cabinet de la paix à tout prix. Vous étiez
un cabinet de gens d'esprit et de coeur qui croyaient que la dignité,
l'intérêt, l'influence de la France voulaient que la guerre sortît de cette
situation, et qu'elle s'y préparât aujourd'hui pour être prête au printemps.
Eh bien, j'ai cru, je crois que vous vous trompiez; je crois que, dans la
situation actuelle, l'intérêt et l'honneur de la France ne lui commandent
pas la guerre, que le traité du 15 juillet ne contient pas un cas de guerre.
Voilà, entre vous et nous, la vraie question, la question honnête, celle
que nous avons aujourd'hui à discuter.»
Ce fut là en effet l'objet du débat. Une autre question, toute personnelle,
s'y joignait. Avais-je bien pressenti les chances de la négociation dont
j'étais chargé? En avais-je bien informé le cabinet du 1er mars? Lui
avais-je fait connaître ma dissidence dès que les événements et son
attitude l'avaient suscitée? Avais-je rempli tous les devoirs d'un
ambassadeur en gardant mon indépendance comme député? En
racontant, dans le précédent volume de ces Mémoires[2], les détails de
mon ambassade, j'ai déjà dit ce que j'eus à répondre à ces questions;
dans l'une et l'autre Chambre, le débat porta essentiellement sur ma
correspondance diplomatique; j'en ai déjà publié tout ce qu'elle avait
d'important et de caractéristique; je n'ai pas à y revenir aujourd'hui; j'ai
mis en plein jour ma pensée sur les causes comme sur le sens du traité
du 15 juillet 1840 et sur ma conduite personnelle dans la négociation.
Mes raisons, mes explications, mes citations satisfirent les deux
Chambres. En même temps, elles sentirent et reconnurent que je ne
pouvais ni ne devais encore parler des événements qui suivaient leur
cours en Orient et des nouvelles négociations entamées à leur sujet. Les
18 novembre et 5 décembre 1840, une majorité considérable et
fermement résolue donna, dans les deux Chambres, sa sanction à la
politique que je soutenais; et après le solennel débat des deux adresses,
le cabinet du 29 octobre 1840 se trouva bien établi.
[Note 2: Tome V, chapitres XXXI, XXXII et XXXIII.]
Au même moment où la politique de la paix triomphait ainsi par la
discussion publique et libre, le génie de la guerre avait aussi son
triomphe. Le 30 novembre 1840, à cinq heures du matin, la frégate _la
Belle-Poule_, commandée par le prince de Joinville, mouilla devant
Cherbourg, rapportant de Sainte-Hélène les restes de l'empereur
Napoléon; et le 3 décembre, au milieu de la population empressée
autour du prince de Joinville débarqué la veille, un simple prêtre[3],
aumônier de la marine, lui disait avec une émotion qui était celle de
tous les assistants: «Votre Altesse Royale permettra-t-elle au fils d'un
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