Mémoires pour servir à lHistoire de mon temps | Page 4

François Pierre Guillaume Guizot
exprimer le voeu de conserver les couleurs nationales. Elle a,
de plus, senti la nécessité de s'occuper sans relâche d'assurer à la France,
dans la prochaine session des Chambres, toutes les garanties
indispensables pour la pleine et entière exécution de la Charte.[2]»
[Note 2: _Pièces historiques_, n° II.]
Cette résolution, précise et pourtant encore réservée, fut à l'instant
revêtue de quarante signatures; quoiqu'ils eussent souhaité un autre
vote et un autre langage, les membres les plus ardents de la réunion,
MM. Eusèbe Salverte, de Corcelle, Benjamin-Constant, de Schonen, y
donnèrent leur adhésion. Trois seulement des députés présents, MM.

Villemain, Le Pelletier d'Aunay et Hély d'Oissel, considérant cet acte
comme un pas décisif vers un changement de dynastie, ne se crurent
pas en droit de s'y associer.
A ce point de la crise, c'eût été certainement un grand bien pour la
France, et de sa part un grand acte d'intelligence comme de vertu
politiques, que sa résistance se renfermât dans les limites du droit
monarchique, et qu'elle ressaisît ses libertés sans renverser son
gouvernement. On ne garantit jamais mieux le respect de ses propres
droits qu'en respectant soi-même les droits qui les balancent, et quand
on a besoin de la monarchie, il est plus sûr de la maintenir que d'avoir à
la fonder. Mais il y a des sagesses difficiles, qu'on n'impose pas, à jour
fixe, aux nations, et que la pesante main de Dieu, qui dispose des
événements et des années, peut seule leur inculquer. Partie du trône,
une grande violation du droit avait réveillé et déchaîné tous les instincts
ardents du peuple. Parmi les insurgés en armes, la méfiance et
l'antipathie pour la maison de Bourbon étaient profondes. Les
négociations tentées par le duc de Mortemart ne furent que des
apparences vaines; malgré l'estime mutuelle des hommes et la
courtoisie des paroles, la question d'un raccommodement avec la
branche aînée de la famille royale ne fut pas un moment sérieusement
considérée ni débattue. L'abdication du Roi et du Dauphin vint trop tard.
La royauté de M. le duc de Bordeaux, avec M. le duc d'Orléans pour
régent, qui eût été, non-seulement la solution constitutionnelle, mais la
plus politique, paraissait, aux plus modérés, encore plus impossible que
le raccommodement avec le Roi lui-même. A cette époque, ni le parti
libéral, ni le parti royaliste n'eussent été assez sages, ni le régent assez
fort pour conduire et soutenir un gouvernement à ce point compliqué,
divisé et agité. La résistance d'ailleurs se sentait légale dans son origine
et se croyait assurée du succès si elle poussait jusqu'à une révolution.
Les masses se livraient aux vieilles passions révolutionnaires, et les
chefs cédaient à l'impulsion des masses. Ils tenaient pour certain qu'il
n'y avait pas moyen de traiter sûrement avec Charles X, et que, pour
occuper son trône, ils avaient sous la main un autre roi. Dans l'état des
faits et des esprits, on n'avait à choisir qu'entre une monarchie nouvelle
et la république, entre M. le duc d'Orléans et M. de La Fayette:
«Général, dit à ce dernier son petit-gendre, M. de Rémusat, qui était
allé le voir à l'Hôtel-de-Ville, si l'on fait une monarchie, le duc

d'Orléans sera roi; si l'on fait une république, vous serez président.
Prenez-vous sur vous la responsabilité de la république?»
M. de La Fayette avait l'air d'hésiter plutôt qu'il n'hésitait réellement.
Noblement désintéressé quoique très-préoccupé de lui-même, et
presque aussi inquiet de la responsabilité qu'amoureux de la popularité,
il se complaisait à traiter pour le peuple et au nom du peuple, bien plus
qu'il n'aspirait à le gouverner. Que la république, et la république
présidée par lui, fût entrevue comme une chance possible, s'il la voulait;
que la monarchie ne s'établît que de son aveu et à condition de
ressembler à la république; cela suffisait à sa satisfaction, je ne veux
pas dire à son ambition. M. de La Fayette n'avait pas d'ambition; il
voulait être le patron populaire de M. le duc d'Orléans, non son rival.
Bien des gens ne me croiront guère, et pourtant je n'hésite pas à
l'affirmer, M. le duc d'Orléans non plus n'était pas un ambitieux.
Modéré et prudent, malgré l'activité de son esprit et la mobile vivacité
de ses impressions, il prévoyait depuis longtemps la chance qui pouvait
le porter au trône, mais sans la chercher, et plus enclin à la redouter
qu'à l'attendre avec désir. Après les longues tristesses de l'émigration et
la récente épreuve des Cent-Jours, une pensée le préoccupait surtout: il
ne voulait pas être de nouveau et nécessairement enveloppé dans les
fautes que pouvait commettre la branche aînée de sa maison et dans les
conséquences que ces fautes devaient amener. Le 31 mai 1830, il
donnait à son beau-frère, le roi de Naples, arrivé depuis peu de jours à
Paris, une fête au Palais-Royal; le roi Charles X et
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