ils proclamaient bruyamment leurs desseins, ne
tenant pas plus compte de nous, députés, que si nous n'existions pas;
tantôt ils accouraient autour de nous, nous assiégeaient de leurs
messages ou de leurs clameurs, et nous sommaient d'exécuter sans délai
leurs volontés. Le 28 juillet au soir, pendant que nous étions réunis en
très-petit nombre chez M. Audry-Puyraveau, dans un salon du
rez-de-chaussée dont les fenêtres étaient ouvertes, des ouvriers, des
jeunes gens, des enfants, des combattants de toute sorte entouraient la
maison, remplissaient la cour, obstruaient les portes, nous parlaient par
les fenêtres, prêts à nous défendre si, comme le bruit en courait, des
agents de police ou des soldats venaient nous arrêter, mais réclamant
notre prompte adhésion à leurs instances de révolution, et discutant tout
haut ce qu'ils feraient si nous ne faisions pas sur-le-champ ce qu'ils
voulaient de nous. Et ce n'était pas seulement dans les rues que l'esprit
révolutionnaire se déployait ainsi en tous sens et à tout hasard; il
prenait pied le 29 juillet dans le seul pouvoir actif du moment, dans la
Commission municipale établie à l'Hôtel-de-Ville pour veiller, disait-on,
aux intérêts de la cité: deux membres sur six se faisaient là ses
interprètes, M. Audry-Puyraveau et M. Mauguin, beau parleur
audacieux, prétentieux, vaniteux, sans jugement comme sans scrupule,
très-propre, dans ces jours de perturbation générale, à échauffer les fous,
à intimider les faibles et à entraîner les badauds. Quelques esprits
sensés et fermes, entre autres M. Casimir Périer et le général Sébastiani,
essayaient de résister et se montraient résolus à ne pas devenir des
révolutionnaires, même en faisant une révolution. Mais sans point
d'appui fixe toute résistance est vaine, et ils n'en avaient aucun. Avec
une rapidité incessamment croissante, le flot de l'anarchie montait dans
les régions hautes et se répandait à grand bruit dans les régions basses
de la société.
Dans l'espoir de l'arrêter, quelques royalistes éclairés, le duc de
Mortemart, MM. de Sémonville, d'Argout, de Vitrolles et de Sussy,
tentèrent de faire donner au pays une satisfaction légale, et d'amener,
entre la royauté inerte à Saint-Cloud et la révolution bouillonnante à
Paris, quelque accommodement. Mais quand ils demandaient à voir le
Roi, on leur opposait l'heure, l'étiquette, la consigne, le sommeil.
Admis pourtant, ils trouvaient le Roi à la fois tranquille et irrité, obstiné
et hésitant. Ils parvenaient, après bien des efforts, à lui arracher le
renvoi du cabinet Polignac, le rappel des ordonnances et la nomination
du duc de Mortemart comme premier ministre. Mais cela convenu, le
Roi traînait encore et faisait attendre au duc de Mortemart les
signatures nécessaires. Il les lui donnait enfin, mais en y ajoutant de
vive voix toute sorte de restrictions, et le duc de Mortemart, malade et
rongé de fièvre, repartait pour Paris sans avoir obtenu du dauphin le
laissez-passer dont il avait besoin. Arrêté à chaque pas sur sa route, par
les troupes royales aussi bien que par les gardiens volontaires des
barricades, il n'arrivait pas jusqu'à la réunion des députés et ne
réussissait qu'à grand'peine à leur faire parvenir, ainsi qu'à la
Commission municipale, par l'entremise de M. de Sussy, les
ordonnances dont il était porteur. Nulle part ces concessions n'étaient
accueillies; au palais Bourbon et à l'Hôtel-de-Ville, on consentait à
peine à en prendre connaissance; M. de La Fayette faisait acte de
courage en écrivant au duc de Mortemart pour lui en accuser réception;
et deux hommes à cheval ayant dit tout haut sur le boulevard: «Tout est
fini; la paix est conclue avec le Roi; c'est M. Casimir Périer qui a tout
arrangé,» le général Gérard et M. Bérard, qui se trouvaient là, eurent
peine à soustraire ces deux hommes à la colère de la foule, qui voulait
les massacrer. Il n'y avait, à Saint-Cloud, plus de pouvoir en état, je ne
dis pas d'agir, mais seulement de parler au pays.
Ce fut au milieu de cette menaçante situation et pour y mettre un terme
que, sortant enfin de nos réunions sans caractère et sans but déterminé,
nous nous rendîmes le 30 juillet au Palais-Bourbon, dans la salle de la
Chambre des députés, invitant nos collègues absents à venir s'y joindre
à nous et à relever le grand pouvoir public dont nous étions des
membres épars. Les pairs présents à Paris se réunirent pareillement au
palais du Luxembourg. Nous entrâmes en communication avec eux; et
ce même jour, avant la fin de la matinée, informés que M. le duc
d'Orléans, qui jusque-là s'était tenu éloigné, inactif et invisible, se
montrait disposé à venir à Paris, nous adoptâmes la résolution conçue
en ces termes:
«La réunion des députés actuellement à Paris a pensé qu'il était urgent
de prier S. A. R. monseigneur le duc d'Orléans de se rendre dans la
capitale pour y exercer les fonctions de lieutenant général du royaume,
et de lui
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