ému; républicain jadis, mais resté simplement
partisan généreux des idées et des sentiments de liberté, il fut
promptement adopté comme le premier homme de la commission et
accepta sans hésiter d'être son organe. Mais il n'avait, comme ses
collègues, point d'hostilité préméditée, ni d'engagement secret contre
l'Empereur; ils ne voulaient tous que lui porter l'expression sérieuse du
voeu de la France, au dehors pour une politique sincèrement pacifique,
au dedans pour le respect des droits publics et l'exercice légal du
pouvoir. Leur rapport ne fut que l'expression modérée de ces modestes
sentiments. Avec de tels hommes, animés de telles vues, il était aisé de
s'entendre; Napoléon ne voulut pas même écouter. On sait comment il
fit tout à coup supprimer le rapport, ajourna le Corps législatif, et avec
quel emportement à la fois calculé et brutal il traita, en les recevant le
1er janvier 1814, les députés et leurs commissaires: «Qui êtes-vous
pour m'attaquer? C'est moi qui suis le représentant de la nation. S'en
prendre à moi, c'est s'en prendre à elle. J'ai un titre et vous n'en avez
pas... M. Laîné, votre rapporteur, est un méchant homme, qui
correspond avec l'Angleterre par l'entremise de l'avocat Desèze. Je le
suivrai de l'oeil. M. Raynouard est un menteur.» En faisant
communiquer à la commission les pièces de la négociation, Napoléon
avait interdit à son ministre des affaires étrangères, le duc de Vicence,
d'y placer celle qui faisait connaître à quelles conditions les puissances
alliées étaient prêtes à traiter, ne voulant, lui, s'engager à aucune base
de paix. Son ministre de la police, le duc de Rovigo, se chargea de
pousser jusqu'au bout l'indiscrétion de sa colère: «Vos paroles sont bien
imprudentes, dit-il aux membres de la commission, quand il y a un
Bourbon à cheval.» Ainsi, dans la situation la plus extrême, sous le
coup des plus éclatants avertissements de Dieu et des hommes, le
despote aux abois faisait parade de pouvoir absolu; le conquérant
vaincu laissait voir que les négociations n'étaient pour lui qu'un moyen
d'attendre les retours des chances de la guerre; et le chef ébranlé de la
dynastie nouvelle proclamait lui-même que l'ancienne dynastie était là,
prête à lui succéder.
Le jour était venu où la gloire même ne répare plus les fautes qu'elle
couvre encore. La campagne de 1814, ce chef-d'oeuvre continu
d'habileté et d'héroïsme du chef comme des soldats, n'en porta pas
moins l'empreinte de la fausse pensée et de la fausse situation de
l'Empereur. Il flotta constamment entre la nécessité de couvrir Paris et
sa passion de reconquérir l'Europe, voulant sauver à la fois son trône et
son ambition, et changeant à chaque instant de tactique, selon que le
péril fatal ou la chance favorable lui semblait l'emporter. Dieu vengeait
la justice et le bon sens en condamnant le génie qui les avait tant bravés
à succomber dans l'hésitation et le tâtonnement, sous le poids de ses
inconciliables désirs et de ses impossibles volontés.
Pendant que Napoléon usait dans cette lutte suprême les restes de sa
fortune et de sa puissance, il ne lui vint d'aucun point de la France, ni
de Paris, ni des départements, et pas plus de l'opposition que du public,
aucune traverse, aucun obstacle. Il n'y avait point d'enthousiasme pour
sa défense et peu de confiance dans son succès; mais personne ne
tentait rien contre lui; des conversations malveillantes, quelques
avertissements préparatoires, quelques allées et venues à raison de
l'issue qu'on entrevoyait, c'était là tout. L'Empereur agissait en pleine
liberté et avec toute la force que comportaient son isolement et
l'épuisement moral et matériel du pays. On n'a jamais vu une telle
inertie publique au milieu de tant d'anxiété nationale, ni des mécontents
s'abstenant à ce point de toute action, ni des agents si empressés à
désavouer leur maître en restant si dociles à le servir. C'était une nation
de spectateurs harassés, qui avaient perdu toute habitude d'intervenir
eux-mêmes dans leur propre sort, et qui ne savaient quel dénoûment ils
devaient désirer ou craindre à ce drame terrible dont ils étaient l'enjeu.
Je me lassai de rester immobile à ma place devant ce spectacle, et ne
prévoyant pas quand ni comment il finirait, je résolus, vers le milieu de
mars, d'aller à Nîmes passer quelques semaines auprès de ma mère que
je n'avais pas vue depuis longtemps. J'ai encore devant les yeux l'aspect
de Paris, entre autres de la rue de Rivoli que l'on commençait alors à
construire, quand je la traversai le matin de mon départ: point
d'ouvriers, point de mouvement, des matériaux entassés sans emploi,
des échafaudages déserts, des constructions abandonnées faute d'argent,
de bras et de confiance, des ruines neuves. Partout, dans la population,
un air de malaise et d'oisiveté inquiète, comme de gens à qui manquent
également le travail et le repos. Pendant mon voyage, sur les routes,
dans
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