Mémoires du duc de Rovigo, pour servir à lhistoire de lempereur Napoléon | Page 8

Duc de Rovigo

lui qui indiqua le duc d'Enghien comme le seul qui pouvait être
l'individu que signalèrent deux subordonnés de George dans leur
déposition (voir les détails de cet événement au tome II); il décida le
parti qui fut pris à l'égard de ce prince, en faisant remarquer que
l'individu désigné ne pouvait être qu'un prince de la maison de Bourbon,
parce qu'elle seule était intéressée à empêcher le parti révolutionnaire
de profiter du coup qu'avait médité George en venant en France.
Parmi les princes de la maison de Bourbon, il fit observer que le duc
d'Enghien était le seul dont la résolution de caractère et la position de
résidence pussent fixer les soupçons qu'avaient fait naître les
dépositions des compagnons de George. Il appuya son opinion
particulière de détails qu'il avait puisés dans la correspondance des
agens de son ministère, et fit prendre la mesure qui fut exécutée. Il était

en France à peu près le seul qui en avait le secret, et qui peut-être en
connaissait, ou du moins pouvait en prévoir l'issue. Il écrivit aux
envoyés diplomatiques près les princes de la rive droite du Rhin pour
justifier la violation de leur territoire. Cette formalité, je le veux bien,
était commandée par sa position; mais il faut convenir aussi qu'il fit
preuve de réserve dans cette occasion, car enfin il eût suffi d'un mot
jeté dans les salons de l'hôtel de Luines, qu'il fréquentait assidument
alors, pour faire échouer l'entreprise.
Le premier consul, qui ne savait pas même qu'il existât un duc
d'Enghien, ne put voir dans le mouvement que se donna M. de
Talleyrand qu'un acte de dévouement à sa personne, car George et ses
complices n'avaient pas d'autre projet que de lui arracher la vie, et le
ministre ne pouvait avoir, dans le zèle qu'il mettait à les poursuivre,
d'autre but que de livrer au glaive de la justice tout ce qui pouvait avoir
eu part à cette tentative. Le duc d'Enghien n'était pas l'héritier de la
couronne; dans aucun cas, il ne pouvait y être appelé, et il n'y avait
pour l'empereur aucun avantage à se défaire de lui; il ignorait même
qu'il fût si près de Strasbourg; la police ne le savait guère mieux, car à
cette époque elle n'avait pas toutes les ramifications qu'elle eut depuis.
Ce qui se passait au-delà des frontières était uniquement observé,
rapporté et suivi par le ministère des relations extérieures. La part que
prit M. de Talleyrand à cette affaire ne contribua pas peu à le préserver
des atteintes de ses ennemis, qui s'efforçaient de le présenter comme un
agent de la maison de Bourbon. L'empereur, qui fut très mécontent
d'avoir été mal informé dans cette circonstance, ne laissa jamais
échapper le blâme contre qui que ce fût. Il savait tenir compte des
intentions que l'on avait eues; mais il faisait son profit des erreurs dans
lesquelles étaient tombés ceux qui avaient voulu le servir, afin d'éviter
de nouvelles méprises à l'avenir. Indépendamment de cet antécédent,
qui pouvait être mis en ligne de compte, M. de Talleyrand en avait
d'autres.
Il avait été l'agent principal de la détrônisation des Bourbons de Naples,
en 1805. Enfin c'était lui qui avait proposé celle de la branche
d'Espagne, qui avait été préparée de longue main. Ses partisans
prétendent qu'il a été étranger à cette conception, mais le bon sens suffit

pour voir qu'un traité qui décidait d'aussi grands intérêts ne pouvait pas
avoir été l'affaire d'un jour, et qu'avant d'avoir réglé les prétentions en
dédommagemens de tout ce qui perdait son existence à la suite des
changemens qui se préparaient en Espagne, il avait fallu bien des
négociations, d'autant plus que cette matière n'avait jamais fait le sujet
de notes écrites, qu'elle avait été traitée entre le prince de la Paix et M.
de Talleyrand, par le canal d'Izquierdo, agent de confiance du ministre
espagnol.
La pièce que j'ai citée dans le volume IV montre d'ailleurs que c'est M.
de Talleyrand qui a suivi la négociation; c'est lui qui a demandé la
cession de territoire et insisté pour changer l'ordre de succession. Mais
ce n'est pas à cela que s'est bornée la part qu'il a prise à cette affaire:
non seulement il l'a conduite, mais, je ne crains pas de l'affirmer, c'est
lui qui en a donné l'idée.
Après la bataille de Friedland, l'empereur m'avait donné le
gouvernement de Koenisberg et de toute la vieille Prusse. Avant
l'action, M. de Talleyrand était allé attendre à Dantzick les événemens
et les ordres de l'empereur, qui lui écrivit de Tilsit de venir s'établir à
Koenisberg. Il y vint; mais à peine était-il arrivé, qu'il reçut un courrier
qui lui apportait une lettre de l'empereur. J'avais moi-même reçu une
dépêche par laquelle ce prince m'ordonnait, de faire préparer un
équipage de pont qui existait à l'arsenal, de
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