Mémoires du duc de Rovigo, pour servir à lhistoire de lempereur Napoléon | Page 7

Duc de Rovigo
à
condition qu'il lui serait permis de le brûler, s'il survenait quelque
danger pour lui. Le cas survint en effet, et ce précieux dépôt fut détruit.
J'avais fait enlever ma correspondance sécrète, et livré aux flammes
tout ce qui pouvait compromettre les individus qui étaient attachés au
ministère. Je m'étais cru obligé d'assurer le repos d'une foule de gens
qui m'avaient servi.
Dès les premiers jours de février, il ne restait dans les bureaux aucune
pièce qui pût les exposer aux vengeances, ni même les compromettre.
Je laissai le secrétaire-général du ministère à Paris, pour contenir le
personnel de l'administration, et signifiai à M. Anglès, qui était chargé
de l'arrondissement au-delà des Alpes, de me joindre à Blois. M. Réal,
qui était à la tête d'un autre arrondissement, reçut la même invitation.
Quant à M. Pelet de la Lozère, qui dirigeait l'autre, il se trouvait en

mission dans le midi. Toutes les dispositions ayant été prises, je me mis
en route; il était quatre heures et demie. Je voulus partir par la barrière
de Sèvres, mais elle était tellement encombrée de voitures, que je me
décidai à passer par Orléans, persuadé que je trouverais la route libre.
C'est effectivement ce qui arriva.
Jamais je ne m'étais trouvé dans une agitation d'esprit semblable à celle
que j'éprouvai en quittant Paris. J'étais même tenté de retourner sur mes
pas, et peu s'en fallut que je n'enfreignisse l'ordre que j'avais reçu
directement de l'empereur, de ne pas rester à Paris, si l'impératrice se
trouvait obligée d'en partir. Néanmoins, en réfléchissant aux
conséquences qui auraient été la suite d'une désobéissance sans excuse,
dans le cas où les choses eussent pris une autre tournure que celle que
je me flattais de leur donner, je n'osai pas compromettre ma
responsabilité jusque-là. Je n'étais pas sans inquiétude sur M. de
Talleyrand, et si je ne le fis pas arrêter et emmener de force avec moi,
c'est que je n'avais pas de lieu à ma disposition où je pusse le déposer.
Je ne pouvais pas ignorer les rôles qu'il avait successivement joués dans
le cours de la révolution; je savais qu'il avait servi toutes les factions
qui s'étaient tour à tour arraché le pouvoir, qu'il s'était toujours trouvé
dans le port quand l'orage avait éclaté, et qu'il avait toujours été du parti
du plus fort. Je savais aussi combien il devait être indisposé contre
l'empereur, et tout ce qu'il avait à craindre du parti qui l'avait jeté dans
cette position vis-à-vis de ce prince; je ne pouvais donc pas douter qu'il
ne saisît l'occasion de se venger de ses ennemis, et de se faire une
position tellement forte, qu'il n'eût plus rien à en redouter.
L'empereur savait tout cela encore bien mieux que moi; il avait
d'ailleurs près de lui M. de Bassano, qui n'aimait certainement pas M.
de Talleyrand, et qui le connaissait sous toute sorte de rapports; et
cependant, loin de donner des ordres contre lui, il défendit de l'inquiéter,
et le laissa siéger au conseil de régence. Au reste les opinions qu'il
manifesta jusqu'au dernier moment étaient, il faut le dire, bien
éloignées de motiver des mesures de sévérité. Pourquoi l'empereur le
gardait-il malgré toutes les manoeuvres qu'on lui avait signalées? C'est
parce qu'il lui connaissait des antécédens qui ne lui permettaient guère
de se livrer aux projets de vengeance qui roulaient dans sa tête, et que

le souvenir de ses premiers services n'était pas effacé. L'empereur a
toujours conservé la mémoire de ceux qu'il avait reçus, et n'a jamais
tout-à-fait abandonné un homme dont il avait été content, n'eût-ce été
qu'une seule fois. Il grondait, disait souvent des choses dures, mais il
les oubliait presque aussitôt; le plus souvent ses mouvemens d'humeur
ne provenaient que d'un rapport qu'on lui avait fait, et qui était
quelquefois étranger à celui qui s'offrait à la réprimande. Je lui ai
souvent entendu dire que M. de Talleyrand avait un côté de bon, que
c'était celui qui avait donné le plus de gages contre un bouleversement
en faveur de la maison de Bourbon. J'ai toujours cru que c'était cette
considération qui avait empêché ce prince de le renvoyer tout-à-fait,
comme il en était journellement sollicité. Les antécédens du diplomate
semblaient en effet présenter assez de garanties.
M. de Talleyrand était un des membres de la constituante qui avaient le
plus vivement attaqué la cour de Versailles. Plus tard, il tira parti de ses
faits et actes pour capter la confiance du directoire, dont il fut le
ministre des relations extérieures.
Au retour d'Égypte, il fut un de ceux qui contribuèrent le plus à
renverser le directoire et à dissiper la faction qui travaillait à appeler au
trône le duc d'Orléans, et à son défaut un prince d'Espagne.
Lors du procès de George Cadoudal et de ses complices, en 1804, ce fut
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