Mémoires du duc de Rovigo, pour servir à lhistoire de lempereur Napoléon | Page 6

Duc de Rovigo
Il
recommença ses tirades contre ceux qu'il accusait de tous les malheurs
qui arrivaient, et plaignit vivement l'empereur de s'en être rapporté aux
ignorans qui l'avaient perdu. Il ajoutait cependant que les mauvais
traitemens qu'il en avait reçus avaient mis tout-à-fait hors de son coeur
les anciens sentimens qu'il avait eus pour lui, et qu'il ne saurait oublier
qu'il l'avait sacrifié à des misérables. Néanmoins il désirait, pour le bien
de tous, que l'édifice ne fût pas détruit, et ce n'était plus qu'à Paris que
l'on pouvait le sauver. Il me demandait à l'autoriser à rester, persuadé
que je ferais une chose utile pour le bien du service de l'empereur et de
tout le monde.
Je ne me laissai pas prendre au leurre, et répondis au diplomate que non
seulement je ne l'autorisais pas à rester, mais que je lui intimais, autant

qu'il était en moi, de partir sur-le-champ pour se rendre près de
l'impératrice; je le prévins même que dès ce moment j'allais surveiller
son départ, et prendre des mesures pour le faire effectuer. Je chargeai
en effet des agens d'avoir l'oeil sur le personnage. Il feignit de se rendre
à mon injonction, et courut solliciter du préfet de police l'autorisation
qu'il n'avait pu obtenir de moi. Le préfet refusa; M. de Talleyrand fut
obligé de se mettre en route, et de se faire officieusement arrêter pour
rentrer à Paris. C'était bien de la prudence, ou ses plans n'étaient pas
encore arrêtés; car enfin à quoi bon solliciter avec tant de persévérance
l'autorisation de rester à Paris? Si ses conventions eussent été faites, il
lui suffisait de se cacher quelques heures pour se trouver au milieu des
Russes; mais il n'était sûr de rien, il redoutait l'avenir, et voulait, à tout
événement, être en mesure de justifier son séjour dans la capitale. Il fit
croire aux alliés qu'il avait des moyens de consommer la ruine de
l'empereur, et à ses dupes, que les alliés hésitaient, mais qu'il espérait
vaincre leurs répugnances, et ramener les Bourbons.

CHAPITRE II.
Je quitte Paris.--M. Pasquier et M. de Chabrol restent chargés de veiller
à la sûreté de la capitale.--Je suis tenté de revenir sur mes
pas.--Toujours M. de Talleyrand.--L'empereur ne pensait pas que ses
antécédens lui permissent de se rallier aux Bourbons.--Esquisse des
actes des diplomates contre les diverses branches de cette maison.
Aussitôt que M. de Talleyrand fut sorti de chez moi, je m'occupai de
mon départ. Je fis venir le préfet de police, M. Pasquier; après lui avoir
donné connaissance de l'ordre que j'avais reçu, je le chargeai de rester à
Paris, et lui communiquai tout ce que je pressentais devoir être la suite
d'une décision contre laquelle je m'étais vainement élevé. Je ne lui
cachai pas que je ne m'abusais point sur la grandeur du mal, qu'on allait
tenter de déplacer le pouvoir, qu'indubitablement on s'adresserait à lui
pour le faire concourir à cette entreprise; je l'engageai à se tenir sur la
réserve, et surtout à se rappeler son devoir, qu'un homme d'honneur ne
méconnaît jamais. Je lui dis que M. de Chabrol, qui était préfet de la
Seine, dans lequel l'empereur avait eu assez de confiance pour le

charger de l'administration de Paris à l'approche de l'orage, recevait du
ministre de l'intérieur la même mission que lui-même recevait de moi;
qu'ils pouvaient, en réunissant leurs efforts, empêcher beaucoup de mal
et se faire infiniment d'honneur. M. Pasquier connaissait depuis
long-temps mes opinions particulières sur l'issue de cette lutte; je
l'avais souvent entretenu de tout ce que je craignais, et il y avait
beaucoup de choses sur lesquelles j'étais en confiance avec lui. Je me
félicitai de pouvoir le laisser à Paris dans la circonstance où nous étions,
tant à cause de la considération qu'il s'était acquise par ses talens, qu'à
cause de la réputation que lui avait méritée son caractère intègre. Il me
répondit de manière à confirmer la haute opinion que j'avais de lui: il
me dit qu'il ne doutait pas de l'existence de beaucoup de mauvais
projets, mais que pour lui, il ne serait jamais que le magistrat de la
tranquillité publique; que tant qu'on lui laisserait de l'autorité, il n'en
ferait usage que pour la protéger. Je n'ai pas changé d'opinion sur M.
Pasquier, malgré tout ce qui est arrivé, et je ne fais nul doute qu'il eût
comprimé une révolution populaire de tout son pouvoir; mais
l'impulsion partit de trop haut, il fut obligé de suivre le torrent. Ma
confiance en lui était si forte, que je lui remis un portefeuille dans
lequel étaient toutes les lettres que l'empereur m'avait fait l'honneur de
m'écrire pendant mon administration, parce que je ne voulais pas les
exposer au hasard d'un pillage auquel je pouvais particulièrement être
exposé, en cas d'une révolution que je voyais arriver; il s'en chargea
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