Mémoires du duc de Rovigo, pour servir à lhistoire de lempereur Napoléon | Page 5

Duc de Rovigo
la France fut décidé.
L'empereur n'avait cependant demandé à Paris que de se défendre
quatre ou cinq jours, et il avait annoncé, en quittant la capitale, qu'il
serait possible que, par suite des manoeuvres qu'il était obligé de faire,
les ennemis s'approchassent jusque sous les murailles de cette grande
ville, mais qu'il ne tarderait pas à arriver. On lui avait promis de ne
point s'effrayer de l'approche des ennemis, mais on ne lui tint pas
parole; ce n'est pas Paris qui a des reproches à se faire, tous les citoyens
étaient prêts à suivre ceux qui auraient voulu les conduire; et si, au lieu
de laisser dans les arsenaux ainsi qu'au Champ-de-Mars les armes et
l'artillerie qui y furent trouvées par les ennemis, on les avait
abandonnées à la population de Paris quatre jours plus tôt, elle aurait su

en tirer un meilleur parti. Une faute aussi grave ne doit être attribuée
qu'à ces hommes médiocres qui, avides de faveurs et de pouvoir,
étaient parvenus, à force de bassesses et de protestations de leur
dévouement, à se faire accorder une confiance exclusive; ce sont eux
qui ont disposé de nos destinées en manquant de courage dans les
momens périlleux.
Au moment où l'on faisait prendre au prince Joseph la fatale résolution
dont je viens de parler, les ministres et tout ce qui composait l'action du
gouvernement étaient encore à Paris. On aurait sans doute bien voulu
alors que cette ville fût en état d'insurrection, mais il ne restait que
quelques heures pour distribuer les armes et disposer l'immense
artillerie qui était au Champ-de-Mars, dépaver les rues, et, en général,
prendre l'attitude d'une place déterminée à se défendre: tout cela aurait
pu se faire quelques jours plus tôt, mais lorsque les citoyens de Paris
virent qu'on avait plus de confiance dans les ennemis qu'en eux pour
conserver leur ville, ils ne durent naturellement avoir qu'une fort mince
opinion de ceux aux mains desquels on avait remis le soin de leur sort.
On se regardait avec inquiétude; on se demandait comment cela allait
finir.
J'étais encore sur les hauteurs de Belleville, lorsque le conseil de
défense, qui se tenait à Montmartre, prit la dernière résolution. Je vins à
la barrière Saint-Antoine; je parcourus le faubourg, qui était prêt à tout,
si ce n'est à se rendre; tout le monde demandait instamment des armes;
il y avait de quoi faire une armée des hommes qui étaient dans ces
généreuses dispositions. En montant le boulevard Saint-Antoine pour
me rendre une seconde fois à la barrière, je rencontrai dans une calèche
le duc Dalberg, qui revenait de l'intérieur du faubourg; je lui demandai
d'où il venait; il était très agité. Cette rencontre me surprit et m'occupa
un instant; j'ignorais encore la décision qui venait d'être prise à
Montmartre. Il était facile de lui faire expier ses trames, mais la partie
était perdue; une exécution n'eût servi à rien: je le laissai aller.
De la barrière Saint-Antoine, je revins à Montmartre. On passait encore
le long du boulevard extérieur, mais les ennemis n'en étaient pas
éloignés. Arrivé au pied de la hauteur, j'appris qu'il était arrivé un

aide-de-camp de l'empereur, et que l'on venait de voir passer le prince
Joseph accompagné du duc de Feltre, avec qui il s'était acheminé le
long du boulevard extérieur qui mène à la barrière de Mousseaux et à
celle de la rue du Roule. Je pris par l'intérieur pour lui couper le chemin
et le rejoindre à la barrière des Champs-Élysées; j'arrivai trop tard. Les
officiers de la garde nationale m'apprirent qu'il s'était dirigé sur le bois
de Boulogne; je cherchais vainement à me rendre raison de cette
marche singulière, lorsque je fus joint par un maréchal-des-logis de la
garde de Paris, qui avait couru après moi depuis le faubourg
Saint-Antoine. Il m'apportait une lettre d'un des secrétaires de mon
cabinet, qui me rendait compte qu'il venait de recevoir pour moi une
lettre très pressée du grand-juge, et qu'on en avait exigé un reçu
circonstancié. Je courus chez moi, et j'y trouvai l'ordre de quitter Paris à
l'instant pour suivre les traces de l'impératrice.
On me rendit compte que M. de Talleyrand était venu, il y avait
environ deux heures; qu'il m'avait attendu et était parti en disant qu'il
reviendrait, qu'il avait à me parler. Je jugeai, par l'heure de la date que
portait la lettre du grand-juge, du motif qui l'amenait. Resté chez lui
pendant que je courais d'une barrière à l'autre, il avait reçu avant moi la
dépêche qui lui prescrivait de quitter Paris, et voulait m'entretenir à ce
sujet. J'avais deviné juste. M. de Talleyrand, revenu presque aussitôt
que je fus arrivé à mon hôtel, se mit à me faire part de l'embarras où il
était. Il ne refusait pas de partir, sans se soucier beaucoup de le faire.
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