Mémoires du duc de Rovigo, pour servir à lhistoire de lempereur Napoléon | Page 4

Duc de Rovigo
son père, prend un cheval et court à
Montmartre. Le prince Joseph venait de s'éloigner; il se mit sur ses
traces, et le joignit au milieu du bois de Boulogne. Il lui transmit les
dépêches de l'empereur, et l'engagea à retourner à Paris. Le prince s'y
refusa; il répondit qu'il était trop tard, qu'il avait autorisé les maréchaux
à traiter; il engagea du reste le général à se rendre auprès d'eux et à leur
faire connaître les ordres dont il était porteur. Dejean joignit en effet le
maréchal Mortier, qui combattait près du canal de la Villette, lui
transmit les instructions dont il était chargé. De nouvelles ouvertures
avaient été faites; les alliés ou du moins l'Autriche semblaient disposés
à les accueillir; on était près de s'entendre. Il fallait, à tout prix, gagner
quelques heures, et sauver la capitale des malheurs de l'occupation. Le
duc de Trévise adopta vivement cette idée. Il fit approcher un tambour,
et écrivit, au milieu de la mitraille qui décimait ses carrés, la lettre
suivante.
«Sous Paris, le 30 mars 1814.
«À S. A. S. le prince Schwartzenberg, commandant en chef les armées
combinées.
«PRINCE,
«Des négociations viennent d'être ouvertes de nouveau, M. le duc de

Vicence est parti pour se rendre auprès de S. M. l'empereur d'Autriche;
le prince de Metternich doit être en ce moment auprès de l'empereur
Napoléon: dans cet état de choses, et au moment où les affaires peuvent
s'arranger, épargnons, prince, l'effusion du sang humain. Je suis
suffisamment autorisé à vous proposer des arrangemens. Ils sont de
nature à être écoutés. J'ai donc l'honneur de vous proposer, prince, une
suspension d'armes de vingt-quatre heures, pendant laquelle nous
pourrions traiter pour épargner à la ville de Paris, où nous sommes
résolus de nous défendre jusqu'à la dernière extrémité, les horreurs
d'un siége.
«Je prie V. A. S. d'agréer l'assurance de ma haute considération, et je
saisis cette occasion pour lui exprimer de nouveau les sentimens de
l'estime personnelle que je lui porte.
«Signé, le maréchal duc DE TRÉVISE.»
Le duc de Trévise avait à peine expédié sa lettre, qu'un des officiers du
duc de Raguse vint lui donner connaissance de la convention que ce
maréchal avait conclue. Dès-lors, sa démarche devenait un
hors-d'oeuvre; il jugea bien que les nouvelles qu'il avait transmises au
généralissime ne paraîtraient qu'un leurre destiné à gagner du temps.
C'est en effet ce qui arriva. Schwartzenberg ne se borna pas à révoquer
en doute les ouvertures dont il lui parlait, il contesta jusqu'à la
possibilité d'un rapprochement[2]. Rien n'était cependant plus réel que
les négociations qu'avait annoncées le maréchal.
Outré de voir que son négociateur n'avait rien su conclure, l'empereur
avait pris le parti d'être lui-même son diplomate, et de se mettre en
communication directe avec l'empereur d'Autriche. Il avait fait appeler,
dans la nuit du 25 au 26 mars, le colonel Galbois, lui avait remis des
dépêches pour ce prince, et après lui avoir spécialement recommandé
d'éviter les Russes, de ne parlementer qu'avec les troupes du souverain
auprès duquel il était envoyé, il lui avait dit: Allez, faites diligence,
vous portez la paix. Le colonel réussit à échapper aux cosaques, mais
ne put pousser jusqu'à Dijon. Du reste, il fut parfaitement accueilli, et
reçut, dans la matinée du 28, l'assurance que les propositions qu'il avait
transmises étaient agréées. L'adjudant de l'empereur d'Autriche qui vint

lui donner communication des intentions de ce prince, lui apprit que
chacun des trois grands souverains était autorisé à traiter, à signer pour
les deux autres; que ce n'était pas avec l'Autriche seule, mais avec toute
la coalition, que la paix était faite. Le colonel demandait une réponse
écrite; mais la rédaction d'une pièce de cette importance exigeait du
temps, le moindre retard pouvait de nouveau tout compromettre; il
partit, sur l'assurance réitérée qu'elle serait incessamment expédiée. Elle
le fut en effet; mais un parti de cosaques fondit sur les parlementaires
qui en étaient porteurs. Français et Autrichiens, tout fut enlevé, et l'on
poussa d'autant plus vivement l'entreprise qu'on avait formée sur Paris.
Cette circonstance était sans doute ignorée par Schwartzenberg,
puisqu'au lieu d'accueillir les ouvertures du duc de Trévise, il lui
répondit par l'envoi d'une pièce odieuse sur laquelle je reviendrai tout à
l'heure. Les choses restèrent dans l'état où elles étaient; il ne vint à la
pensée de Dejean ni de Mortier de faire connaître à Marmont l'arrivée
prochaine de l'empereur, d'user le temps de la suspension d'armes, et de
tenter un nouvel effort pour atteindre la nuit.
Les deux maréchaux se réunirent paisiblement à la barrière de la
Villette, où ils arrêtèrent, avec M. de Nesselrode et le comte Orloff, la
capitulation que signèrent le colonel Fabvier et le colonel Saint-Denys,
l'un officier d'état-major, et l'autre premier aide-de-camp du duc de
Raguse.
Ainsi finit cette déplorable affaire, et le sort de
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