Mémoires du duc de Rovigo, pour servir à lhistoire de lempereur Napoléon | Page 5

Duc de Rovigo
et pris la course vers le palais de
justice, où il y a toujours du monde de grand matin; mais je n'avais pas
vu une troupe de soldats qui suivaient le cabriolet: ils se mirent à courir
après moi en criant: Arrête! arrête! A Paris, il n'en faut pas d'avantage
pour que chacun arrête; aussi m'arrêta-t-on. Les soldats et Guidal,
m'ayant rejoint me prirent bras-dessus, bras-dessous, et me menèrent à
pied à la Force.
Ce fut le concierge de cette prison qui m'apprit tout ce qui s'était passé
le matin, à six heures, à la porte de la Force, où Lahorie et Guidal
étaient renfermés.
Il se conduisit en brave homme, me demanda mes ordres, et m'assura
que, quoi qu'il pût arriver, il me sauverait; il se hâta de faire sortir de sa
maison Guidal, ainsi que le demi-bataillon qui l'avait suivi en
m'amenant. Pendant la demi-heure que je passai ainsi entre les mains de
cette troupe, d'autres détachements du même corps amenèrent
successivement à la Force M. Pasquier, préfet de police, et M.
Desmarets, chef de la première division de mon ministère; mais ils
n'entrèrent qu'au greffe, parce qu'aussitôt que les troupes, qui
obstruaient la petite rue qui mène à la Force, furent retirées, mon
secrétaire, ainsi que le secrétaire-général du ministère survinrent: ils
avaient donné l'alerte partout, et avaient amené une voiture, dans

laquelle je montai avec le préfet de police, et pris le chemin de mon
hôtel. Je rencontrai sous l'arcade de l'hôtel-de-ville le bataillon qui
m'avait arrêté.
Il s'y rendait d'après les ordres qu'il avait reçus, et quoique je
m'enfonçasse dans la voiture, autant que je pouvais, plusieurs soldats
me reconnurent, et néanmoins ils ne dirent rien; j'arrivai chez moi en
même temps que les troupes de la garde impériale, qui s'y rendaient
pour apprendre où l'on m'avait transporté.
Je trouvai tous les employés de mon administration à leurs postes, et je
pouvais agir; j'étais revenu très vite, en sorte que je pus faire joindre,
sur la place de Grève ce bataillon de la dixième cohorte, par un
détachement de la gendarmerie d'élite, qui était arrivée chez moi la
première, parce qu'étant casernée à l'Arsenal, elle avait appris
presqu'aussitôt ce qui s'était passé à la Force, qui en est très près. Son
attachement pour moi, aussi bien que son devoir, l'avait fait monter à
cheval sans attendre d'ordre.
Ce détachement m'amena tous les officiers du bataillon, ainsi que les
sous-officiers. Ils étaient dans une consternation facile à comprendre.
À peine avais-je été emmené de chez moi, que ma maison s'était
remplie de tous les employés de mon administration qui y arrivaient:
c'était à peu près l'heure de leur travail. Ils trouvèrent le général Lahorie
maître de mon cabinet, la garde qui était à la porte de mon hôtel,
n'ayant rien dit au moment de la violence qui avait été exercée contre
moi; ils ne savaient que penser de tout cela.
Lahorie, qui avait fait mettre mes chevaux à une de mes voitures, pour
me faire conduire, avant d'avoir pris le parti de me faire emmener en
cabriolet, s'était ensuite servi lui-même de ma voiture, pour aller à
l'hôtel-de-ville, où son instruction lui apprenait qu'il devait se rendre
après m'avoir enlevé ou tué.
Il venait de rentrer lorsque les employés arrivèrent, et en même temps
qu'eux, M. Laborde, adjudant de place de la garnison, qui venait de
chez le général Hullin; il était déjà au courant de ce qui se passait,

comme on va le voir. Il fit arrêter le général Lahorie par mes
domestiques, qui le lièrent sur un des fauteuils du salon même, dans
lequel s'était passée toute la scène du matin, et c'est dans cette situation
que je le trouvai en arrivant chez moi.
Laborde était venu de mon hôtel à la Force avec mon secrétaire-général,
qui s'était fait suivre afin de pouvoir répondre aux troupes, si elles
avaient voulu s'opposer à mon retour; je l'envoyai à la préfecture de
police pour la faire évacuer par les troupes qui s'y tenaient encore, et
qui non seulement ne voulurent point y laisser rentrer M. Pasquier,
mais qui plus est, arrêtèrent M. Laborde lorsqu'il se présenta; à la vérité,
cela ne dura qu'un moment. Paris eut à peine le temps d'être informé de
tout cela, que déjà les choses étaient remises à leur place, et le mal se
borna au ridicule qui fut jeté sur l'administration de la police, aux
dépens de laquelle le public est toujours bien aise de s'amuser. Cette
fois il avait beau jeu de se venger de toutes les petites tracasseries dont
il croyait avoir à se plaindre, et l'administration militaire, de son côté,
ne négligea rien pour rejeter le reproche loin d'elle.
Je voyais tout si tranquille, que je ne pouvais douter que je ne m'étais
point abusé en me persuadant que ce
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