conversations de toute la France. Je re?us, dans ce temps-là, une correspondance bien extraordinaire. On y rappelait l'événement arrivé au mariage de la dauphine, la feue reine de France. Tout le monde en parlait; on faisait des rapprochemens, et on allait même jusqu'à conjecturer des choses qui auraient paru ridicules à l'homme le moins sensé, et qui pourtant se sont, en grande partie, vérifiées. Ce n'est point exagérer que de dire que l'on fut frappé de l'idée qu'il y avait une mauvaise destinée inséparable de nos alliances avec l'Autriche. Cette opinion s'établissait, et j'eus à surmonter beaucoup de difficultés pour en détruire les facheuses conséquences.
J'ai dit plus haut qu'après avoir divisé la surveillance que j'observais dans Paris, je n'y trouvai rien de bien important, et que je l'envisageai ensuite sous un autre rapport. Voici ce que j'ai voulu dire.
Je ne voyais que le mal qui était produit, et pendant que j'en cherchais les causes, il en arrivait d'un autre c?té; ensuite je reconnaissais déjà que la facilité avec laquelle on abordait l'empereur fournissait à la méchanceté beaucoup d'occasions de débiter des contes qui lui étaient rapportés comme des propos de telle ou telle classe de la société, ou comme venant d'hommes à spéculations qui cherchaient à faire baisser les fonds pour favoriser quelques opérations. J'avais remarqué que, la plupart du temps, ces contes n'étaient que le résultat de l'imagination de quelques cerveaux creux ou oisifs, qui abusaient de l'accès qu'ils avaient près du souverain, pour prendre tout à la fois une apparence de zèle pour son service, et favoriser en même temps des projets d'ambition particulière; la confiance exclusive de l'empereur paraissait être disputée entre quelques individus qui épiaient toutes les occasions de pousser à des places dans son intimité leurs amis et leurs obligés, afin de l'entourer d'une atmosphère tout à leur dévotion. Je voyais conduire de front des intrigues de laquais pour faire entrer des protégés dans toutes les différentes parties du service de la maison de l'empereur; depuis celui du grand-maréchal, du grand écuyer, du grand chambellan, on avait songé à pénétrer jusqu'au cabinet de l'empereur.
Ce cabinet était organisé ainsi. Ce que l'on appelait le cabinet particulier n'avait qu'un seul secrétaire dit du ille, qui était M. de Menneval; il en fut ainsi jusqu'au retour de Russie, que l'état de la santé de ce dernier obligea l'empereur de le remplacer, après l'avoir toutefois placé près de l'impératrice comme secrétaire des commandemens, lors de l'institution de la régence, et avec mission de lui écrire tous les jours pendant qu'il était absent.
M. Fain, archiviste, occupait un cabinet séparé avec les archives, où les papiers du cabinet particulier ne devaient être déposés qu'après la consommation des affaires auxquelles ils se rapportaient; il n'entrait au cabinet de l'empereur que lorsqu'il y était appelé, et pour l'instant où l'empereur en avait besoin.
MM. Mounier et Desponthons, secrétaires du cabinet, occupaient un bureau commun séparé. Le premier était chargé de la traduction des gazettes étrangères et s'était associé pour ce travail des traducteurs de son choix, il recevait pour ce service 50,000 francs par an, et cependant je ne manquais pas d'envoyer exactement les gazettes anglaises toutes traduites à l'empereur, parce que je les recevais le premier. M. Desponthons était chargé du travail relatif au génie, et il était par là même moins employé. M. Dalbe était chargé du travail relatif aux cartes et avait avec lui deux ingénieurs géographes avec lesquels il occupait un cabinet séparé. Par cette division, l'intrigue ne put se donner d'accès au cabinet particulier ni dans les bureaux: aussi chercha-t-elle à mieux réussir près de l'impératrice en voulant y pousser ses créatures. Le premier essai fut de placer M. de Narbonne grand-ma?tre de sa maison, et, quoique l'empereur go?tat assez M. de Narbonne, il refusa cette nomination, que, de son c?té, l'impératrice repoussait encore plus fortement que lui. M. de S*** se donna beaucoup de mouvement pour faire nommer comme secrétaire des commandemens de l'impératrice, d'abord un M. de Gillevoisin, sa créature, ensuite M. Ferrand, le même qui a été célèbre en 1814, par l'occupation des postes. Mais l'empereur avait un contr?le invisible qui lui fit repousser toutes ces insinuations; il ne voulut mettre près de l'impératrice que quelqu'un d'incorruptible: c'est pourquoi il s'imposa plus tard le sacrifice de M. de Menneval, qui lui était cependant si nécessaire.
J'ai été un des premiers à voir où ce malheureux tripotage nous mènerait à cause de la facilité avec laquelle on faisait retentir par cent bouches, un propos lancé avec intention contre quelqu'un qu'on voulait perdre.
J'ai eu le courage de dire là-dessus à l'empereur même ce que je voyais et ce que l'on me disait; je ne lui ai rien caché, et l'expérience n'a que trop prouvé combien peu étaient dignes de son estime et de son affection ceux qui se disputaient
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