avaient voulu le faire comprendre dans les déportations qui eurent lieu après l'affaire du 3 nivose. Sur les représentations de MM. Monge, Bertholet, Cambacérès et de madame Bonaparte, qui le connaissaient depuis long-temps, le premier consul le raya lui-même de la liste fatale; mais comme on insistait encore pour l'éloigner au moins de Paris, le premier consul ordonna l'examen le plus sévère de la conduite de M. Tissot pendant la révolution, et comme on ne trouva aucun fait à sa charge, le général Bonaparte jugea combien les passions étaient en jeu dans cette circonstance, et le rendit à sa famille. Depuis cette époque, deux hommes, exaltés par l'esprit de parti, vinrent lui confier le dessein qu'ils avaient con?u d'attenter aux jours du premier consul; le sacrifice qu'ils avaient fait de leur vie pouvait assurer le succès de leur criminelle entreprise; ils y renoncèrent à la voix de M. Tissot. Cette bonne action était restée ensevelie dans le silence pendant plusieurs années. Je l'appris par hasard, et je m'empressai de la faire conna?tre à l'empereur. Il en fut touché, et c'est alors qu'il me raconta lui-même en détail comment il avait sauvé M. Tissot du plus grand des dangers, dans un moment où chacun voulait satisfaire ses haines particulières à la faveur d'une circonstance aussi terrible que l'attentat du 3 nivose.
Je ne révélai point, et je ne devais point révéler cette circonstance à M. Tissot, et jusqu'à la lecture de mon ouvrage il l'ignorera. Elle me donna l'envie de le conna?tre personnellement. Il vivait alors dans la retraite, ne s'occupant que des lettres et d'un emploi dans les droits-réunis, dont le chef, M. Fran?ois de Nantes, un des hommes les plus spirituels de France, avait beaucoup d'amitié pour lui. Nous e?mes ensemble une entrevue pleine de franchise. Je n'avais en ce moment à lui offrir dans mon ministère aucune fonction qu'il p?t accepter; je me bornai à lui demander s'il voulait se charger de me signaler les ouvrages de littérature et d'art qui méritaient l'attention publique, et de m'indiquer les jeunes talens qu'il fallait encourager: j'attachais la plus haute importance au bonheur de contribuer à favoriser son choix. M. Tissot accepta ce genre de travail et s'en acquitta avec autant de zèle que de bienveillance. Plus d'une personne lui a d?, sans le savoir, d'honorables récompenses de l'empereur. Les jeunes gens surtout avaient en lui un ami et un avocat plein d'ardeur. Plus tard, l'empereur me donna l'ordre de confier la rédaction de la Gazette de France à M. Tissot.
à la mort de l'abbé Delille, qui l'avait choisi pour suppléant dans sa chaire de poésie latine, le premier mouvement de l'empereur fut de penser à M. Tissot; il vit avec plaisir les suffrages du collége de France et de l'Institut le lui proposer pour successeur de l'abbé Delille; M. Tissot fut donc nommé professeur en titre.
L'empereur a toujours fait un cas particulier de la droiture et du jugement de cet écrivain; je l'ai vu une fois le faire appeler près de lui pendant les cent jours.
Avec ce petit aréopage, je me crus en état de prévenir les effets de la prévention, de paralyser la malveillance qui me supposait des intentions hostiles et des sentimens qui étaient loin de ma pensée; je jugeais, au contraire, dès mon entrée au ministère, que, pour bien servir l'empereur, il fallait me tenir dans la ligne de la modération, et n'écouter aucune haine personnelle. Je voulais surtout agréer aux gens de lettres, en marquant leurs succès et leur noble attitude dans la littérature et dans la politique. Les hommes estimables que j'avais choisis me secondèrent admirablement par leur bienveillance et leur zèle pour tous les talens. Quant à mon influence sur ces écrivains, les personnes qui possèdent les journaux de l'époque peuvent se convaincre qu'ils n'ont pas craint de professer hautement alors des principes qui plusieurs fois, depuis la restauration, les auraient conduits à la police correctionnelle. Mais le gouvernement était fort, sa théorie nationale; il avait rallié tous les esprits et tous les partis. On aurait regardé comme un fou celui qui aurait prêché la discorde, nous ne nous inquiétions pas de la liberté de telle ou telle opinion. J'adjure ces messieurs de déclarer dans quelles circonstances j'aurais pu les inviter ou les autoriser à employer le subterfuge et la ruse pour donner telle ou telle direction à l'esprit public. Fort de mon innocence à cet égard, je reste convaincu, de mon c?té, qu'ils ne se seraient prêtés à aucune lache complaisance, car ils avaient beaucoup d'indépendance, et jamais peut-être l'empereur n'a entendu, sur certaines matières, des vérités aussi fortes que celles que j'ai puisées quelquefois dans leurs conversations, les plus libres peut-être qui aient eu lieu dans Paris, et dont aucun d'eux ne craignait jamais les conséquences. La liberté de ces entretiens fut même
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