Mémoires du duc de Rovigo, pour servir à lhistoire de lempereur Napoléon | Page 5

Duc de Rovigo
la tête de faire mettre quelques uns des miens sur les rangs, non pas par amour-propre, mais pour avoir les moyens de repousser les attaques qui me seraient venues de ce c?té, car je voyais bien qu'elles seraient fréquentes et surtout dangereuses, parce que la partie de littérature que j'aurais pu négliger serait précisément devenue une arme puissante à employer pour nuire au ministre de la police; j'étais d'ailleurs effrayé de la quantité de livres que l'on portait chez moi dans une semaine, et si je n'avais pas eu vingt personnes pour les faire lire et y apercevoir le c?té répréhensible, aussit?t que la méchanceté aurait pu le faire, mon temps aurait été employé à croiser le fer avec des intrigues qui auraient pris à tache de se jouer de moi.
Je formai ainsi le projet de faire entrer M. Esménard à l'académie, et m'employai si bien, que je lui fis donner une majorité de suffrages sans laquelle il aurait infailliblement été rejeté.
Je fus aidé en cela par des hommes en place qui faisaient partie de la classe des belles-lettres.
Ce petit triomphe m'enhardit; peu de temps après Chénier vint à mourir; et je voulus y faire entrer M. de Chateaubriand; je réussis à le faire nommer, et quand je n'aurais fait que cela pour les lettres, je croirais avoir bien mérité d'elles. Mais quant à sa réception, elle souffrit des difficultés, et on ne put obtenir de lui de les vaincre; il avait pu justement se trouver offensé d'une mesure à laquelle la classe académique crut devoir le soumettre.
MINISTèRE DE LA POLICE.
MM. éTIENNE, JAY, TISSOT, MICHAUD.
J'éprouvais le besoin de former autour de moi une petite réunion d'hommes d'esprit autant que sages et éclairés. Je connaissais M. étienne pour l'avoir vu souvent à l'armée, et je savais qu'il était agréable à l'empereur, qui l'estimait beaucoup; mais M. étienne avait une répugnance insurmontable à entrer en contact avec le ministre de la police générale. Ce ne fut qu'à la mort de M. Esménard que je parvins, par l'intermédiaire de M. Arnault, membre de l'Institut, digne de la plus grande estime, à déterminer M. étienne à accepter la division vacante, et qui n'avait pas le plus léger rapport avec le reste du ministère. L'empereur approuva ce choix, et j'eus beaucoup à m'applaudir de l'avoir fait, tant je trouvai de loyauté, de raison dans M. étienne. J'aurais de bien nobles traits à citer de cet homme, d'un esprit si brillant et d'un coeur si droit.
Je ne connaissais M. Jay que pour en avoir entendu parler comme d'un homme de beaucoup d'esprit et d'instruction. Après avoir suivi en Italie M. le duc d'Otrante, qui lui avait confié l'éducation littéraire de ses enfans, il avait quitté ce ministre lorsqu'il s'était embarqué à Livourne pour se rendre en Amérique, et venait de rentrer à Paris. M. Jay appréhendait beaucoup les préventions qu'il me supposait contre toutes les personnes qui avaient appartenu au duc d'Otrante. Je ne le laissai pas beaucoup dans l'incertitude. Je l'appelai près de moi, et je fus si content de sa personne, de ses sentimens politiques, qu'il ne prit aucun soin de cacher, et de la modération de son esprit, que je résolus de l'attacher à mon cabinet, au titre qui lui conviendrait le mieux. Je lui confiai la fonction de traduire et d'analyser les productions anglaises, qui abondaient au ministère de la police, par l'entremise des commissaires de Boulogne. M. Jay accompagnait les rapports qu'il me faisait sur ces ouvrages d'observations sur la direction politique de ces publications. Son travail était envoyé directement à l'empereur, qui m'a chargé plusieurs fois d'en témoigner sa satisfaction à l'auteur. Quelque temps après, il m'ordonna de le charger de la direction du journal de Paris.
On m'avait parlé de M. Michaud sous les rapports les plus avantageux; il s'occupait alors de son bel ouvrage sur les croisades. Je saisis toutes les occasions de l'attirer chez moi, et j'eus lieu d'être aussi satisfait de son dévo?ment que tout le monde l'était de son esprit: il s'était rallié de bonne foi au gouvernement impérial. Meilleur juge que moi du caractère et des dispositions des hommes, et connaissant les sentimens de M. Michaud, comme son talent, l'empereur m'ordonna de le placer sur la liste des bénéfices, lors de la répartition des actions de la Gazette de France. Depuis, l'empereur ne l'oublia jamais dans toutes les circonstances où il voulut accorder quelques récompenses aux gens de lettres. Je n'eus jamais qu'à me louer de mes rapports avec M. Michaud, qui, de son c?té, n'eut jamais à se plaindre de mes procédés envers lui; je crois qu'il ne me refuserait pas cette justice.
J'avais entendu parler de M. Tissot comme auteur de plusieurs productions littéraires. Je savais encore qu'il devait à l'empereur de n'avoir pas été la victime des plus laches ressentimens d'ennemis implacables, qui
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