Lyon. J'ai eu la preuve que j'avais été bien informé, en voyant, dans les salons d'un prince d'Allemagne[2], le beau tableau que M. Gérard a fait de cette gracieuse dame, qui a voulu mettre son portrait à la place de sa personne dans ce palais.
Au reste, la haine que madame Récamier portait à l'empereur date, pour ainsi dire, des premiers jours du consulat. Voici quels en sont les motifs, on verra s'ils sont bien légitimes.
Lucien, pendant son ambassade d'Espagne, eut occasion d'envoyer en courrier à Paris un de ses amis qui l'avait accompagné en Espagne. Celui-ci, en passant à Dax, s'arrêta chez M. Méchin, préfet du département des Landes, et parmi les renseignemens que celui-ci le chargea de transmettre au premier consul sur la position de son département, il lui fit conna?tre toutes les peines qu'il se donnait inutilement pour découvrir d'où partait un journal rempli d'injures dégo?tantes contre le gouvernement, le premier consul et les membres de sa famille. Ce journal arrivait régulièrement, et était porté mystérieusement à domicile. M. Méchin en remit sept numéros au courrier, qui partit de suite pour Bordeaux. Le commissaire de police de cette ville était dans le même cas que M. Méchin, se plaignait du même journal, et en remit quatre autres numéros au courrier, qui arriva à Paris chez le premier consul avec onze de ces numéros, qui furent envoyés au ministre de la police, alors M. Fouché. Les informations qu'il prit lui apprirent bient?t que ce journal était rédigé à Paris, par un certain abbé Guyot, qui profitait de ses liaisons d'amitié avec M. Bernard, père de madame Récamier, l'un des administrateurs de la poste aux lettres, pour faire parvenir ce journal dans tous les lieux où il avait des connaissances, qui se chargeaient de le répandre.
L'arrestation de M. Bernard fut la suite de cette découverte. Au bout de quelque temps, il fut amené au ministère de la police pour y être interrogé. Cela avait lieu précisément le jour même où madame Récamier venait au ministère de la police pour conna?tre les motifs de l'arrestation de son père, en protestant de son innocence et sollicitant la permission de le voir. On ne la fit pas attendre. Elle le vit à l'h?tel du ministère, apprit les motifs de son arrestation et n'osa plus récriminer. Elle était alarmée sur les suites qu'aurait cette affaire; elle proposa de les prévenir par la démission de son père, M. Bernard, qui la donna sur-le-champ, et qui fut acceptée.
Le premier consul n'en entendit plus parler, et ordonna de mettre M. Bernard en liberté; madame Récamier, ne voulant pas reconna?tre cet acte d'une généreuse justice, préféra conserver son aigreur, qu'elle fit partager à tous ses nombreux admirateurs.
Les exils de dames se réduisaient donc à ces trois-là; ceux d'hommes consistaient en très-peu d'individus que cette mesure avait obligés de vivre hors de leurs habitudes; car, pour ceux qui, sans cela, passaient leur vie dans leurs terres, en quoi pouvait-elle les contrarier?
Il n'y avait guère que M. de Duras qui avait d'abord été exilé assez loin; mais qui petit à petit s'était rapproché si bien, qu'il venait assez fréquemment à Paris, où on ne l'inquiétait en aucune fa?on. On faisait du bruit lorsqu'il était reparti, afin qu'il ne s'accoutumat pas trop à ces visites, mais c'était tout; tant qu'il n'avait pas repris le chemin de son département, on ne l'apercevait pas.
M. de la Salle était réputé homme de mouvement, capable de se porter à quelque coup d'éclat; on le tenta en Bourgogne, où il a justifié l'opinion que l'on avait de son caractère, car il n'attendit pas que les événemens du mois d'avril 1814 fussent arrivés pour prendre le parti de se prononcer.
Il y avait encore M. de Montrond, qui était exilé à Anvers; je lui ai dit à lui-même à qui il avait obligation de sa disgrace; quant à l'empereur, il n'a fait qu'approuver la mesure qu'on lui a proposée.
Voilà en quoi consistaient, au mois de juillet 1810, tous ces exils contre lesquels on a tant crié; cela ferait rire de pitié, si de grands malheurs n'avaient été la suite, et, pour ainsi dire, la conséquence de cette altération journalière que l'on portait à la considération et au respect d? au gouvernement.
Une réflexion peut se placer ici: au moment de la grande puissance de l'empereur, c'est-à-dire après son mariage, il pouvait donner un libre cours à ce prétendu despotisme, à ce go?t pour l'arbitraire qu'on lui a attribué. Cependant c'est à cette époque qu'il a accordé le plus de graces et de faveurs. Je m'apercevais qu'on avait fait croire aux hommes de lettres qu'il les regardait comme ses ennemis, et déjà je commen?ais à avoir une opinion formée sur toutes les pratiques qui avaient été mises en oeuvre pour lui en aliéner beaucoup.
Comme il m'avait particulièrement recommandé de les
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