qu'après avoir éclaté en
menaces contre moi, il s'était écrié que j'avais joué ses commissaires,
que c'étaient des imbécilles, et que Berthier en affaires d'état n'était
qu'une femme qui s'était laissé mystifier par l'homme le plus rusé de
tout l'Empire.
Le lendemain à neuf heures du matin, toute réflexion faite, je cours à
Saint-Cloud; là, je me présente au grand-maréchal du palais; «Me voilà,
dis-je à Duroc; j'ai le plus grand intérêt de voir l'empereur sans retard,
et de lui prouver que je suis loin de mériter ses amères défiances et ses
injustes soupçons. Dites-lui, je vous prie, que j'attends dans votre
cabinet qu'il daigne m'accorder quelques minutes d'audience--J'y vais,
répond Duroc; je suis fort aise que vous mettiez de l'eau dans votre
vin.» Telles furent ses propres paroles; elles cadraient avec l'idée que je
désirais lui donner de ma démarche. Duroc, de retour, me prend la main,
me conduit, et me laisse dans le cabinet de l'empereur. A la vue, au
maintien de Napoléon, je devine sa pensée. Lui, sans me laisser le
temps de proférer une parole, me caresse, me flatte, et va jusqu'à me
témoigner une sorte de repentir de ses emportemens à mon égard; puis,
avec un accent qui semblait dire qu'il m'offrait de lui-même un gage de
réconciliation, il finit par me demander, par exiger sa correspondance.
«Sire, lui dis-je d'un ton ferme, je l'ai brûlée.--Cela n'est pas vrai; je la
veux, répond-il avec contraction et colère.--Elle est en
cendres.--Retirez-vous. (Mots prononcés avec un mouvement de tête et
un regard foudroyant.)--Mais, sire.--Sortez; vous dis-je! (Paroles
accentuées de manière à me dissuader de rester.) Je tenais tout prêt à la
main un mémoire court, mais fort de choses, et en sortant je le déposai
sur une table, mouvement que j'accompagnai d'un salut respectueux.
L'empereur, tout bouillant de colère, saisit le papier et le déchire.
Duroc, que j'allai revoir aussitôt, n'apercevant en moi ni trouble, ni
émotion, me croit rentré en grâce. «Vous l'avez échappé belle, me dit-il;
j'ai détourné avant-hier l'empereur de vous faire arrêter.--Vous lui avez
épargné une grande folie, un acte pour le moins impolitique et qui eût
servi de texte à la malignité. L'empereur eût par là jeté l'alarme parmi
les hommes les plus dévoués aux intérêts de son gouvernement.» Je vis,
à l'air de Duroc, que telle était aussi son opinion, et lui prenant la main,
je lui dis: «Ne vous rebutez pas, Duroc, l'empereur a besoin de vos
sages conseils.»
Je sortis de Saint-Cloud, un peu rassuré par cette demi-confidence du
grand-maréchal, dont j'étais redevable à une méprise, et je rentrai tout
réfléchissant à mon hôtel.
J'allais repartir pour Ferrières, après avoir vaqué à quelques affaires
urgentes, lorsqu'on m'annonça le prince de Neufchâtel. «L'empereur est
furieux, me dit-il; jamais je ne l'ai vu si emporté; il s'est mis dans la tête
que vous nous avez joué; que vous avez poussé la hardiesse jusqu'à lui
soutenir en face que vous aviez brûlé ses lettres, et cela pour vous
dispenser de les rendre; il prétend que c'est un crime d'état punissable
de vous obstiner à les garder.--Ce soupçon est encore le plus injurieux
de tous, dis-je à Berthier. La correspondance de l'empereur serait au
contraire ma seule garantie, et si je l'avais je ne la livrerais pas».
Berthier me conjure avec instance de céder; et sur mon silence, il finit
par des menaces au nom de l'empereur. «Allez, lui dis-je; rapportez-lui
que je suis habitué, depuis vingt-cinq ans, à dormir la tête sur
l'échafaud; que je connais les effets de sa puissance, mais que je ne la
redoute pas: dites-lui que s'il veut faire de moi un Straford, il en est le
maître.» Nous nous séparâmes; moi plus que jamais résolu de tenir
ferme, et de garder soigneusement les preuves irrécusables que tout ce
qui s'était fait de violent et d'inique dans l'exercice de mes fonctions
ministérielles m'avait été impérieusement prescrit par les ordres émanés
du cabinet, et revêtus du seing de l'empereur.
Aussi n'était-ce pas les effets d'une disgrâce publique que je redoutais,
mais bien des embûches tendues dans les ténèbres. Décidé par mes
propres méditations, de même que par les instances de mes amis et de
tout ce que j'avais de plus cher, je me jetai dans une chaise de poste,
n'emmenant avec moi que mon fils aîné, accompagné de son
gouverneur; puis je me dirigeai vers Lyon; là je trouvai mon ancien
secrétaire, Maillocheau, commissaire général de police, qui m'était
redevable de sa place; j'obtins de lui tous les papiers dont je pouvais
avoir besoin, et je traversai rapidement une grande partie de la France.
De là, passant avec la même rapidité en Italie, j'arrivai à Florence avec
un plan fortement conçu, qui devait me mettre à l'abri du ressentiment
de l'empereur. Mais tel était mon état d'irritabilité, et l'excès des
fatigues

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