puissance, qu'on ne songeait déjà plus au chancre de cette guerre
espagnole, qui, au Midi, commençait à ronger les fondemens de
l'Empire. Partout ailleurs, Napoléon n'avait qu'à vouloir pour obtenir.
Tout contre-poids moral avait disparu de son gouvernement. Tout pliait;
ses employés, ses fonctionnaires, ses dignitaires, n'offraient plus qu'une
troupe d'adulateurs et de muets épiant ses moindres désirs. Enfin il
venait de frapper en moi le seul homme de son conseil qui eût osé
modérer ses empiétemens successifs; en moi il venait d'écarter le
ministre surveillant et zélé qui ne lui épargna jamais ni les avis utiles,
ni les représentations courageuses.
Un décret impérial me nommait gouverneur général de Rome[1]. Mais
je ne crus pas un seul instant qu'il entrât dans la volonté de l'empereur
que je fusse mis en exercice d'un si haut emploi.
[Note 1: Lettre de l'empereur à M. le duc d'Otrante.
Monsieur le duc d'Otrante, les services que vous nous avez rendus dans
les différentes circonstances qui se sont présentées, nous portent à vous
confier le gouvernement de Rome, jusqu'à ce que nous ayons pourvu à
l'exécution de l'art. 8 de l'acte des constitutions du 17 février dernier.
Nous avons déterminé, par un décret spécial, les pouvoirs
extraordinaires dont les circonstances particulières où se trouve ce
département exigent que vous soyez investi. Nous attendons que vous
continuerez, dans ce nouveau poste, à nous donner des preuves de votre
zèle pour notre service et de votre attachement à notre personne.
Cette lettre n'étant à autre fin, nous prions Dieu, M. le duc d'Otrante,
qu'il vous ait en sa sainte garde.
Signé NAPOLÉON.
A Saint-Cloud, le 3 juin 1810.
Lettre du ministre de la police générale, à S. M. I. et R.
SIRE,
J'accepte le gouvernement de Rome auquel V. M. a la bonté de
m'élever, pour récompense des faibles services que j'ai été assez
heureux de lui rendre.
Je ne dois cependant pas dissimuler que j'éprouve une peine très-vive
en m'éloignant d'elle: je perds à la fois le bonheur et les lumières que je
puisais chaque jour dans ses entretiens.
Si quelque chose peut adoucir ce regret, c'est la pensée que je donne
dans cette circonstance, par ma résignation absolue aux volontés de V.
M., la plus forte preuve d'un dévouement sans bornes à sa personne.
Je suis avec le plus profond respect, Sire, de V. M. I. et R., le
très-humble et très-obéissant serviteur, et sujet.
Signé le duc d'OTRANTE.
Paris, le 3 juin 1810.
(Note de l'éditeur.)]
Cette nomination n'était qu'un voile honorable tissu par sa politique,
pour couvrir et mitiger aux yeux du public ma disgrâce, dont ses
familiers seuls avaient le secret. Je ne pouvais m'y méprendre; le choix
seul de mon successeur était un indice effrayant. Dans chaque salon,
dans chaque famille, dans tout Paris enfin, on frémissait de voir la
police générale de l'Empire confondue désormais avec la police
militaire du chef de l'État, et de plus livrée au dévouement fanatique
d'un homme qui s'honorait d'être l'exécuteur des ordres occultes de son
maître. Son nom seul excitait partout la défiance et une sorte de stupeur,
dont le sentiment était peut-être exagéré.
Je ne voyais déjà plus qu'avec d'extrêmes précautions, mes amis
intimes, mes agens particuliers. J'eus bientôt la confirmation de tout ce
que j'avais pressenti. Pendant plusieurs jours, l'appartement de ma
femme ne désemplit pas de visites marquantes, qu'on avait soin de
masquer sous l'apparence de félicitations, au sujet du décret impérial
qui m'élevait au gouvernement général de Rome. Je reçus les
épanchemens d'une foule de hauts personnages, qui, en m'exprimant
leurs regrets, m'avouèrent que ma retraite emportait la désapprobation
des hommes les plus recommandables dans toutes les opinions et dans
tous les rangs de la société. «Nous ne savons même pas trop, me
dirent-ils, si les regrets du faubourg Saint-Germain ne sont pas pour le
moins aussi vifs que ceux qui éclatent chez cette foule de personnes
notables à qui les intérêts de la révolution tiennent à coeur». De pareils
témoignages, vis-à-vis d'un ministre disgracié, n'étaient ni suspects ni
douteux.
Par position et par convenance, il me fallut, pendant plusieurs jours,
dévorer l'ennui de servir de mentor à Savary dans le début de son
noviciat ministériel. On sent bien que je ne poussai pas la bonhomie
jusqu' à l'initier dans les hauts mystères de la police politique; je me
gardai bien de lui en donner la clef, qui pouvait un jour contribuer à
notre salut commun. Je ne l'initiai pas davantage dans l'art assez
difficile de coordonner le bulletin secret dont le ministre seul doit se
réserver la pensée et souvent même la rédaction. Le triste savoir-faire
de Savary dans ce genre m'était connu; jadis je m'étais procuré, sans
qu'il s'en doutât, copie de ses bulletins de contre-police: quelles
turpitudes! A vrai dire, impatienté de ses perpétuelles interrogations et
de sa lourde
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