pas alors que le duc d'Otrante était, sans aucun doute, le
plus habile et le plus supportable des ministres de Napoléon? Vous
tenez à présent un autre langage, par la seule raison que les temps sont
changés. Vous jugez le passé par le présent, je n'en juge pas ainsi. J'ai
fait des fautes, je le confesse: mais ce que je fis de bien doit entrer en
balance. Jeté dans le chaos des affaires, occupé à dénouer toutes sortes
d'intrigues, je me complus à calmer les ressentimens, à éteindre les
passions, à rapprocher les hommes. C'était avec une sorte de délice que
je goûtais parfois le repos, au sein de mes affections privées,
empoisonnées aussi à leur tour. Dans mes récentes disgrâces, dans mes
hautes infortunes, puis-je oublier que, support et surveillant d'un empire
immense, ma seule désapprobation le mit en péril, et qu'il s'écroula dès
que je ne le soutins plus de mes mains? Puis-je perdre de vue que si,
par l'effet d'une grande réaction, d'un retour que j'avais pressenti; je
ressaisis les élémens dispersés de tant de grandeur et de puissance, tout
s'évanouit comme un songe? Et pourtant on me regardait comme bien
supérieur par ma longue expérience, peut-être aussi par ma sagacité, à
tous ceux qui, pendant la catastrophe, laissèrent échapper le pouvoir.
A présent que, désabusé de tout, je plane de très-haut sur toutes les
misères, sur tout le faux éclat des grandeurs; à présent que je ne
combats plus que pour la justification de mes intentions politiques, je
reconnais trop tard le vide des partis contraires qui se disputent les
affaires de l'univers; je le sens, je le vois, un moteur plus puissant les
conduit et les règle au mépris de nos combinaisons les plus profondes.
Pourtant, il n'est que trop vrai, elles sont incurables les plaies de
l'ambition. En dépit de toute ma raison, je me sens encore poursuivi
malgré moi par les illusions du pouvoir, par les fantômes de la vanité;
je m'y sens attaché comme Ixion l'était à sa roue. Un sentiment pénible
et profond m'oppresse.
Et qu'on dise que je ne me montre pas avec toutes mes faiblesses, avec
toutes mes erreurs, avec tous mes repentirs! Voilà, je pense, une assez
solide garantie de la sincérité de mes révélations. Je le devais, ce gage,
à l'importance de cette seconde partie des Mémoires de ma vie
politique; me voilà invariablement placé dans la rigoureuse obligation
d'en retracer toutes les particularités et d'en dévoiler tous les mystères.
Ce sera mon dernier effort. Toutefois, et je l'éprouvai dans ma narration
première, je puiserai quelques adoucissemens dans le charme des
souvenirs et dans la saveur de quelques réminiscences.
En préparant ces Mémoires, une idée consolante ne m'abandonna
jamais. Je ne descendrai peut-être pas tout entier au tombeau, me dis-je,
au tombeau qui déjà s'entr'ouvre aux confins de l'exil pour me recevoir.
Je ne puis me le dissimuler! Si j'élude le dépérissement de l'esprit, je ne
ressens que trop le dépérissement de mes forces. Que je me hâte donc,
pressé par la parque, d'offrir, dans un sentiment de sincérité, le récit des
événemens renfermés entre ma disgrâce de 1810 et ma chute de 1815.
Ce complément est la partie la plus grave, la plus épineuse de mes
confessions politiques. Que d'incidens, que de grands intérêts, que de
personnages, que de turpitudes se rattachent à ces dernières scènes, à ce
dernier acte d'un pouvoir fugitif! Mais rassurez-vous, amis et ennemis:
ce n'est point ici la police qui dénonce, c'est l'histoire qui révèle.
Si je prétends m'élever au-dessus des frivoles ménagemens, je n'en suis
pas moins décidé à me placer toujours aussi loin de la satire et du
libelle que de la dissimulation et du mensonge; je flétrirai ce qui doit
être flétri, je respecterai ce qui est digne de respect; en un mot, je
tiendrai la plume ferme: et pour qu'elle ne puisse s'égarer, j'aurai l'oeil
ouvert sur le synchronisme des événemens publics.
De ces préliminaires destinés à éveiller l'attention et à provoquer les
souvenirs, je vais passer aux faits qui constatent, aux particularités qui
dévoilent, aux traits qui caractérisent. Il en résultera, j'espère, un
tableau que l'on nommera, si l'on veut, de l'histoire, ou des matériaux
pour l'écrire.
A la fin de la première partie de ces Mémoires, se trouve mon point de
départ actuel; il est marqué par l'événement de ma disgrâce, qui fit
passer dans les mains de Savary le porte-feuille de la haute police de
l'État. Qu'on ne perde pas de vue que l'empire était alors à l'apogée de
sa puissance, et que ses limites militaires ne connaissaient déjà plus de
bornes. Possesseur de l'Allemagne, maître de l'Italie, dominateur absolu
de la France, envahisseur des Espagnes, Napoléon était en outre l'allié
des Césars et de l'autocrate du Nord. On était si ébloui de l'éclat de sa
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