Lucrezia Floriani | Page 8

George Sand
n'est devenu ni exigeant, ni despote, ni ingrat, ni maniaque. Il est sensible aux moindres attentions, et reconnaissant plus qu'il ne faut de mon d��vouement.?
Cela ��tait g��n��reux �� reconna?tre, mais cela ��tait vrai. Karol n'avait point de petits d��fauts. Il en avait un seul, grand, involontaire et funeste, l'intol��rance de l'esprit. Il ne d��pendait pas de lui d'ouvrir ses entrailles �� un sentiment de charit�� g��n��rale pour ��largir son jugement �� l'endroit des choses humaines. Il ��tait de ceux qui croient que la vertu est de s'abstenir du mal, et qui ne comprennent pas ce que l'��vangile, qu'ils professent strictement d'ailleurs, a de plus sublime, cet amour du p��cheur repentant qui fait ��clater plus de joie au ciel que la pers��v��rance de cent justes, cette confiance au retour de la brebis ��gar��e; en un mot, cet esprit m��me de J��sus, qui ressort de toute sa doctrine et qui plane sur toutes ses paroles: �� savoir que celui qui aime est plus grand, lors m��me qu'il s'��gare, que celui qui va droit, par un chemin solitaire et froid.
Dans le d��tail de la vie, Karol ��tait d'un commerce plein de charmes. Toutes les formes de la bienveillance prenaient chez lui une grace inusit��e, et quand il exprimait sa gratitude, c'��tait avec une ��motion profonde qui payait l'amiti�� avec usure. M��me dans sa douleur, qui semblait ��ternelle, et dont il ne voulait pas pr��voir la fin, il portait un semblant de r��signation, comme s'il e?t c��d�� au d��sir que Salvator ��prouvait de le conserver �� la vie.
Par le fait, sa sant�� d��licate n'��tait pas alt��r��e profond��ment, et sa vie n'��tait menac��e par aucune d��sorganisation s��rieuse; mais l'habitude de languir et de ne jamais essayer ses forces, lui avait donn�� la croyance qu'il ne survivrait pas longtemps �� sa m��re. Il s'imaginait volontiers qu'il se sentait mourir chaque jour, et, dans cette pens��e, il acceptait les soins de Salvator et lui cachait le peu de temps qu'il jugeait devoir en profiter. Il avait un grand courage ext��rieur, et s'il n'acceptait pas, avec l'insouciance h��ro?que de la jeunesse, l'id��e d'une mort prochaine, il en caressait du moins l'attente avec une sorte d'am��re volupt��.
Dans cette persuasion, il se d��tachait chaque jour de l'humanit��, dont il croyait d��j�� ne plus faire partie. Tout le mal d'ici-bas lui devenait ��tranger. Apparemment, pensait-il, Dieu ne lui avait pas donn�� mission de s'en inqui��ter et de le combattre, puisqu'il lui avait compt�� si peu de jours �� passer sur la terre. Il regardait cela comme une faveur accord��e aux vertus de sa m��re, et, quand il voyait la souffrance attach��e comme un chatiment aux vices des hommes, il remerciait le ciel de lui avoir donn�� la souffrance sans la chute, comme une ��preuve qui devait le purifier de toute la souillure du p��ch�� originel. Il s'��lan?ait alors en imagination vers l'autre vie, et se perdait dans des r��ves myst��rieux. Au fond de tout cela, il y avait la synth��se du dogme catholique; mais, dans les d��tails, son cerveau de po��te se donnait carri��re. Car il faut bien le dire, si ses instincts et ses principes de conduite ��taient absolus, ses croyances religieuses ��taient fort vagues; et c'��tait l�� l'effet d'une ��ducation toute de sentiment et d'inspiration, o�� le travail aride de l'examen, les droits de la raison et le fil conducteur de la logique n'��taient entr��s pour rien.
Comme il n'avait suivi et approfondi par lui-m��me aucune ��tude, il s'��tait fait dans son esprit de grandes lacunes, que sa m��re avait combl��es, comme elle l'avait pu, en invoquant la sagesse imp��n��trable de Dieu et l'insuffisance de la lumi��re accord��e aux hommes. C'��tait encore l�� le catholicisme. Plus jeune et plus artiste que sa m��re, Karol avait id��alis�� sa propre ignorance; il avait meubl��, pour ainsi dire, ce vide effrayant avec des id��es romanesques; des anges, des ��toiles, un vol sublime �� travers l'espace, un lieu inconnu o�� son ame se reposerait �� cot�� de celles de sa m��re et de sa fianc��e: voil�� pour le paradis. Quant �� l'enfer, il n'y pouvait pas croire; mais, ne voulant pas le nier, il n'y songeait pas. Il se sentait pur et plein de confiance pour son propre compte. S'il lui avait fallu absolument dire o�� il rel��guait les ames coupables, il e?t plac�� leurs tourments dans les flots agit��s de la mer, dans la tourmente des hautes r��gions, dans les bruits sinistres des nuits d'automne, dans l'inqui��tude ��ternelle. La po��sie nuageuse et s��duisante d'Ossian avait pass�� par l��, �� c?t�� du dogme romain.
La main ferme et franche de Salvator n'osait interroger toutes les cordes de cet instrument subtil et compliqu��. Il ne se rendait donc pas bien compte de tout ce qu'il y avait de fort et de faible, d'immense et d'incomplet, de terrible et d'exquis, de tenace et de mobile dans cette
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