Lucrezia Floriani | Page 9

George Sand
organisation exceptionnelle. Si, pour l'aimer, il lui e?t fallu le conna?tre �� fond, il y e?t renonc�� bien vite: car il faut toute la vie pour comprendre de tels ��tres: et encore n'arrive-t-on qu'�� constater, �� force d'examen et de patience, le m��canisme de leur vie intime. La cause de leurs contradictions nous ��chappe toujours.
Un jour qu'ils allaient de Milan �� Venise, ils se trouv��rent non loin d'un lac qui brillait au soleil couchant comme un diamant dans la verdure.
--N'allons pas plus loin aujourd'hui, dit Salvator, qui remarquait sur le visage de son jeune ami une fatigue profonde. Nous faisons de trop longues journ��es, et nous nous sommes ��puis��s hier, de corps et d'esprit, �� admirer le grand lac de C?me.
--Ah! je ne le regrette pas, r��pondit Karol, c'est le plus beau spectacle que j'aie vu de ma vie. Mais couchons o�� tu voudras, peu m'importe.
--Cela d��pend de l'��tat o�� tu te trouves. Pousserons-nous jusqu'au prochain relais, ou bien ferons-nous un petit d��tour pour aller jusqu'�� Iseo, au bord du petit lac? Comment te sens-tu?
--Vraiment, je n'en sais rien!
--Tu n'en sais jamais rien! C'est d��sesp��rant! Voyons, souffres-tu?
--Je ne crois pas.
--Mais, tu es fatigu��?
--Oui, mais pas plus que je ne le suis toujours.
--Alors, gagnons Iseo; l'air y sera plus doux que sur ces hauteurs.
Ils se dirig��rent donc vers le petit port d'Iseo. Il y avait eu une f��te aux environs. Des charrettes, attel��es de petits chevaux maigres et vigoureux, ramenaient les jeunes filles endimanch��es, avec leur jolie coiffure de statues antiques, le chignon travers�� par de longues ��pingles d'argent, et des fleurs naturelles dans les cheveux. Les hommes venaient �� cheval, �� ane ou �� pied. Toute la route ��tait couverte de cette population enjou��e, de ces filles triomphantes, de ces hommes un peu excit��s par le vin et l'amour, qui ��changeaient �� pleine voix avec elles des rires et des propos fort joyeux, trop joyeux certainement pour les chastes oreilles du prince Karol.
En tout pays, le paysan qui ne se contraint pas et ne change pas sa mani��re na?ve de dire, a de l'esprit et de l'originalit��. Salvator, qui ne perdait pas un jeu de mots du dialecte, ne pouvait s'emp��cher de sourire aux brusques saillies qui s'entre-croisaient sur le chemin, autour de lui, tandis que la chaise de poste descendait au pas une pente rapide inclin��e vers le lac. Ces belles filles, dans leurs carrioles enrubann��es, ces yeux noirs, ces fichus flottants, ces parfums de fleurs, les feux du couchant sur tout cela, et les paroles hardies prononc��es avec des voix fra?ches et retentissantes, le mettaient en belle humeur italienne. S'il e?t ��t�� seul, il ne lui e?t pas fallu beaucoup de temps pour prendre la bride d'un de ces petits chevaux, et pour se glisser dans la carriole la mieux garnie de jolies femmes. Mais la pr��sence de son ami le for?ait d'��tre grave, et, pour se distraire de ses tentations, il se mit �� chantonner entre ses dents. Cet exp��dient ne lui r��ussit point, car il s'aper?ut bient?t qu'il r��p��tait, malgr�� lui, un air de danse qu'il avait saisi au vol d'un essaim de villageoises qui le fredonnaient en souvenir de la f��te.

III.
Salvator avait r��ussi �� garder son sang-froid, jusqu'�� ce qu'une grande brune, passant �� cheval, non loin de la cal��che, jambe de ?��, jambe de l��, lui montra avec un peu trop de confiance son muscle rebondi surmont�� d'une jarreti��re ��l��gante. Il lui fut impossible de retenir une exclamation et de ne pas pencher la t��te hors de la voiture, pour suivre de l'oeil cette jambe nerveuse et bien tourn��e.
--Est-elle donc tomb��e? lui dit le prince, apercevant sa pr��occupation.
--Tomb��e quoi? r��pondit le jeune fou; la jarreti��re?
--Quelle jarreti��re? Je parle de la femme qui passait �� cheval. Que regardes-tu?
--Rien, rien, r��pliqua Salvator, qui n'avait pu s'emp��cher de soulever son bonnet de voyage pour saluer cette jambe. Dans ce pays de courtoisie, il faudrait toujours avoir la t��te nue. Et il ajouta, en se rejetant au fond de la voiture: ?C'est fort coquet, une jarreti��re rose vif bord��e de bleu-lapis.?
Karol n'��tait point p��dant en paroles; il ne fit aucune r��flexion, et regarda le lac ��tincelant o�� brillaient, certes, de plus splendides couleurs que celles des jarreti��res de la villageoise.
Salvator comprit son silence et lui demanda, comme pour s'excuser �� ses yeux, s'il n'��tait pas frapp�� de la beaut�� de la race humaine dans cette contr��e.
--Oui, r��pondit Karol avec une intention complaisante: j'ai remarqu�� qu'il y avait par ici beaucoup de statuaire dans les formes. Mais tu sais que je ne m'y connais pas beaucoup.
--Je le nie; tu comprends admirablement le beau, et je t'ai vu en extase devant des ��chantillons de la statuaire antique.
--Un instant! il y a antique et antique; j'aime le bel art pur, ��l��gant, id��al du Parth��non. Mais je n'aime pas, ou du moins
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