Louis Riel, une vertu héréditaire.
Lorsqu'il avait à peine cinq ans, son père avait été le défenseur et le
libérateur des Métis en 1849, contre les exactions de la compagnie de la
Baie d'Hudson.
Tout le monde avait encore présent à l'esprit, le souvenir de la grande
lutte que M. Riel, le père, avait soutenue à une époque où les Métis
étaient des serfs et où il leur était interdit de tuer, fut-ce une biche ou un
rat musqué, autrement que pour en vendre la robe aux agents de la
compagnie. Tout le monde savait que la conquête de la liberté du
commerce avait été son oeuvre. On se souvenait de son audace et de
son triomphe, le jour où un Métis français, Guillaume Sawyer, ayant
été traduit pour un délit imaginaire devant un juge prévaricateur, le 17
mars 1849, onze Métis ayant Riel à leur tête étaient venus assister
Guillaume Sawyer en cour, et avaient signifié au tribunal, qu'ils lui
donnaient une heure pour rendre justice à Sawyer; et qu'au delà de cette
heure ils se rendraient justice à eux mêmes, si justice ne leur était pas
faites.
Lorsque l'heure fut écoulée, le juge Thom avait essayé de prétexter que
le procès n'était pas fini. Mais Riel, père, s'était écrié: «Le temps
accordé est écoulé. Le procès n'a pas sa raison d'être. L'arrestation de
Sawyer a été faite en violation de tout principe de justice, et je déclare
que dès ce moment Sawyer est libre.»
Devant les acclamations frénétiques des Métis, ni le gouvernement, ni
le juge, ni les magistrats n'avait osé résister. Sawyer était sorti libre de
l'audience. Riel obligea la compagnie à lui rendre les effets qu'on lui
avait confisqués; et, de plus il avertit la compagnie qu'à l'avenir les
colons entendaient avoir le commerce libre. Tous les Métis crièrent à la
fois avec enthousiasme: «Le commerce est libre! le commerce est libre!
vive la liberté!» en présence du juge, du gouverneur et des magistrats
atterrés; et, de ce jour, le monopole oppressif de la Baie d'Hudson cessa
d'exister dans le Nord-Ouest.
On dit que l'histoire se renouvelle sans cesse. Près de quarante ans se
sont écoulés. Il y a encore au Nord-Ouest des tyrans et des juges
prévaricateurs. Le juge Thom s'appelle aujourd'hui Richardson, et son
nom est associé aux malédictions de tout un peuple. Mais il y a aussi de
nobles coeurs. Gabriel Dumont a obligé ses vainqueurs eux-mêmes à
lui rendre hommage; et Louis Riel a témoigné, par sa vie et par sa mort,
qu'il était le digne fils de son père.
Louis Riel était né à la Rivière Rouge, en 1844, du mariage de M. Riel,
père, avec Julie de la Gimodière. Sa mère, que l'agonie de son fils vient
de rendre folle, était née à Sorel. Elle est Canadienne-française de père
et de mère. Son grand-père Riel était Canadien-français et sa
grand'mère Métisse de race française. Louis Riel est donc des nôtres.
Métis, il 'était de coeur et d'âme; mais il n'avait que quelques gouttes de
sang montagnais dans les veines. La naissance l'avait fait
Canadien-français, et son dévouement à une cause proscrite cimentait
l'union de deux races soeurs. Nos ennemis ne l'ont jamais oublié, et le
crime qu'il vient d'expier à Regina ne consiste pas, aux yeux de ses
bourreaux, à s'être insurgé, en compagnie d'Anglais qu'on s'est
d'ailleurs empressé de mettre en liberté. Son véritable crime était de
représenter l'élément français dans le Nord-Ouest en face d'un
gouvernement qui a décrété que le Nord-Ouest serait une terre anglaise.
Louis Riel avait été élevé sous la direction de Mgr. Taché, et grâce à la
protection de Madame Masson, mère de notre lieutenant-gouverneur.
Passé de là au collège de Montréal, il avait eu le malheur de perdre son
père, le 21 janvier 1864, au moment où il commençait son cours de
philosophie; et, après avoir terminé ses études, il était revenu dans la
prairie, prendre son rôle de chef de famille, sans se douter des destinées
qui l'appelaient à faire retentir deux fois l'Amérique de son nom.
Tout le monde sait quelle part il prit à l'insurrection de 1870, et quelle
fut la cause de cette insurrection, la plus juste de toutes celles que
l'histoire ait jamais eu à enregistrer.
L'union imposée en 1840 au Canada-Français avec les Anglais
d'Ontario, ne pouvait plus tenir. Par une conséquence que ses auteurs
n'avaient pas prévue, cette union dirigée contre la race française, avait
assuré dans le parlement uni, la prépondérance de l'élément
canadien-français; et cette prépondérance était telle, que la majorité
conservatrice de la province de Québec avait pu faire subir aux Anglais
d'Ontario des ministres, repoussés par le corps électoral de cette
province. Il est bon de rappeler ce fait, en présence d'un régime sous
lequel ce sont les Anglais d'Ontario qui nous gouvernent, qui
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