quelle époque que celle-ci! Nous l'avons déjà dit ailleurs et plus
d'une fois, le corollaire rigoureux d'une révolution politique, c'est une
révolution littéraire. Que voulez-vous que nous y fassions? Il y a
quelque chose de fatal dans ce perpétuel parallélisme de la littérature et
de la société. L'esprit humain ne marche pas d'un seul pied. Les moeurs
et les lois s'ébranlent d'abord; l'art suit. Pourquoi lui clore l'avenir? Les
magnifiques ambitions font faire les grandes choses. Est-ce que le
siècle qui a été assez grand pour avoir son Charlemagne serait trop petit
pour avoir son Shakespeare?
Nous croyons donc fermement à l'avenir. On voit bien flotter encore çà
et là sur la surface de l'art quelques tronçons des vieilles poétiques
démâtées, lesquelles faisaient déjà eau de toutes parts il y dix ans. On
voit bien aussi quelques obstinés qui se cramponnent à cela. Rari
nantes. Nous les plaignons. Mais nous avons les yeux ailleurs. S'il nous
était permis, à nous qui sommes bien loin de nous compter parmi les
hommes prédestinés qui résoudront ces grandes questions par de
grandes oeuvres, s'il nous était permis de hasarder une conjecture sur ce
qui doit advenir de l'art, nous dirions qu'à notre avis, d'ici à peu
d'années, l'art, sans renoncer à toutes ses autres formes, se résumera
plus spécialement sous la forme essentielle et culminante du drame.
Nous avons expliqué pourquoi dans la préface d'un livre qui ne vaut pas
la peine d'être rappelé ici.
Aussi les quelques mots que nous allons dire du drame s'appliquent
dans notre pensée, sauf de légères variantes de rédaction, à la poésie
tout entière, et ce qui s'applique à la poésie s'applique à l'art tout entier.
Selon nous donc, le drame de l'avenir, pour réaliser l'idée auguste que
nous nous en faisons, pour tenir dignement sa place entre la presse et la
tribune, pour jouer comme il convient son rôle dans les choses
civilisantes, doit être grand et sévère par la forme, grand et sévère par le
fond.
Les questions de forme ont été toutes abordées depuis plusieurs années.
La forme importe dans les arts. La forme est chose beaucoup plus
absolue qu'on ne pense. C'est une erreur de croire, par exemple, qu'une
même pensée peut s'écrire de plusieurs manières, qu'une même idée
peut avoir plusieurs formes. Une idée n'a jamais qu'une forme, qui lui
est propre, qui est sa forme excellente, sa forme complète, sa forme
rigoureuse, sa forme essentielle, sa forme préférée par elle, et qui jaillit
toujours en bloc avec elle du cerveau de l'homme de génie. Ainsi, chez
les grands poëtes, rien de plus inséparable, rien de plus adhèrent, rien
de plus consubstantiel que l'idée et l'expression de l'idée. Tuez la forme,
presque toujours vous tuez l'idée. Otez sa forme à Homère, vous avez
Bitaubé.
Aussi tout art qui veut vivre doit-il commencer par bien se poser à
lui-même les questions de forme, de langage et de style.
Sous ce rapport, le progrès est sensible en France depuis dix ans. La
langue a subi un remaniement profond.
Et pour que notre pensée soit claire, qu'on nous permette d'indiquer ici
en quelques mots les diverses formations de notre langue, qui valent la
peine d'être étudiées, à partir du seizième siècle surtout, époque où la
langue française a commencé à devenir la langue la plus littéraire de
l'Europe.
On peut dire de la langue française au seizième siècle que c'est tout à
fait une langue de la renaissance. Au seizième siècle, l'esprit de la
renaissance est partout, dans la langue comme dans tous les arts. Le
goût romain-byzantin, que le grand événement de 1454 a fait refluer sur
l'occident, et qui avait par degrés envahi l'Italie dès la seconde moitié
du quinzième siècle, n'arrive guère en France qu'au commencement du
seizième; mais à l'instant même il s'empare de tout, il fait irruption
partout, il inonde tout. Rien ne résiste au flot. Architecture, poésie,
musique, tous les arts, toutes les études, toutes les idées, jusqu'aux
ameublements et aux costumes, jusqu'à la législation, jusqu'à la
théologie, jusqu'à la médecine, jusqu'au blason, tout suit pêle-mêle et
s'en va à vau-l'eau sur le torrent de la renaissance. La langue est une des
premières choses atteintes; en un moment, elle se remplit de mots latins
et grecs; elle déborde de néologismes; son vieux sol gaulois disparaît
presque entièrement sous un chaos sonore de vocables homériques et
virgiliens. A cette époque d'enivrement et d'enthousiasme pour
l'antiquité lettrée, la langue française parle grec et latin comme
l'architecture, avec un désordre, un embarras et un charme infinis; c'est
un bégayement classique adorable. Moment curieux! c'est une langue
qui n'est pas faite, une langue sur laquelle on voit le mot grec et le mot
latin à nu, comme les veines et les nerfs sur l'écorché. Et pourtant, cette
langue qui n'est pas faite est une langue
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