la pensée de l'auteur a déposé, sous étiquette, un
échantillon tel quel de ses diverses floraisons successives.
Que le lecteur de bonne foi compare, et juge si la loi selon laquelle s'est
développée cette pensée est bonne ou mauvaise.
Maintenant il se rencontrera peut-être des esprits bienveillants et
sérieux qui demanderont à l'auteur quelle est la formule actuelle de ses
opinions sur la société et sur l'art.
L'espace lui manque ici pour répondre à la première de ces deux
questions. Ce serait un livre tout entier à faire; il le fera quelque jour.
Des matières si graves veulent être traitées à fond et ne sauraient être
utilement abordées dans un avant-propos. Le peu de pages qui nous
reste morcellerait la pensée de l'auteur sans profit, car il serait
impossible de détacher, pour des proportions si exiguës, rien de fini,
d'organisé et de complet d'un bloc d'idées où tout se tient et fait
ensemble. De quelque façon que nous nous y prissions, il y aurait
toujours des afférences latérales sur lesquelles il faudrait s'expliquer,
des choses purement affirmées faute de marge pour les démontrer, des
préliminaires supposés admis, des conséquences tronquées, d'autres qui
se ramifieraient trop à l'étroit; en un mot, des tangentes et des sécantes
dont les extrémités dépasseraient les limites de cette préface.
En attendant qu'il puisse se dérouler complètement et à l'aise dans un
écrit spécial, l'auteur croit pouvoir dire dès à présent que, quoique le
Journal d'un révolutionnaire de 1830 renferme beaucoup de choses
radicalement vraies selon lui, sa pensée politique actuelle est cependant
plutôt représentée par les dernières pages du second de ces deux
volumes que par les dernières pages du premier. Si jamais, dans ce
grand concile des intelligences où se débattent de la presse à la tribune
tous les intérêts généraux de la civilisation du dix-neuvième siècle, il
avait la parole, lui si petit en présence de choses si grandes, il la
prendrait sur l'ordre du jour seulement, et il ne demanderait qu'une
chose pour commencer: la substitution des questions sociales aux
questions politiques.
Une fois son intention politique ainsi esquissée, il croit pouvoir
répondre avec plus de détail aux personnes qui le questionneraient sur
son intention littéraire. Ici il peut être plus aisément et plus vite compris;
tout ce qu'il a écrit jusqu'à ce jour sert de commentaire à ses paroles.
Qu'on lui permette donc quelques développements sur un sujet plus
important qu'on ne le pense communément. Quand on creuse l'art, au
premier coup de pioche on entame les questions littéraires, au second,
les questions sociales.
L'art est aujourd'hui à un bon point. Les querelles de mots ont fait place
à l'examen des choses. Les noms de guerre, les sobriquets de parti n'ont
plus de signification pour personne. Ces appellations de classiques et
de romantiques, que celui qui écrit ces lignes s'est toujours refusé à
prononcer sérieusement, ont disparu de toute conversation sensée aussi
complètement que les ubiquitaires et les antipaedobaptistes. Or c'est
déjà un grand progrès dans une discussion quand les mots de parti sont
hors de combat. Tant qu'on en est à la bataille des mots, il n'y a pas
moyen de s'entendre; c'est une mêlée furieuse, acharnée et aveugle.
Cette bataille, qui a si longtemps assourdi notre littérature dans les
dernières années de la restauration, est finie aujourd'hui. Le public
commence à distinguer nettement le contour des questions réelles trop
longtemps cachées aux yeux par la poussière que la polémique faisait
autour d'elles. Le pugilat des théories a cessé. Le terrain de l'art
maintenant n'est plus une arène, c'est un champ. On ne se bat plus, on
laboure.
A notre avis, la victoire est aux générations nouvelles. Elles ont pris
grandement position dans tous les arts. Nous essayerons peut-être un
jour de caractériser le point précis où elles en sont sous les diverses
formes, poésie, peinture, sculpture, musique et architecture, et nous
tâcherons d'indiquer par quels progrès et selon quelle loi il nous semble
que doit s'opérer la fusion entre les nuances différentes des jeunes
écoles, soit qu'elles cherchent plus spécialement le caractère, comme
les gothiques, ou le style, comme les grecs.
En attendant, l'impulsion est donnée, la marée monte. Les doctrines de
la liberté littéraire ont ensemencé l'art tout entier. L'avenir moissonnera.
Ce n'est pas que nous, plus que d'autres, nous croyions l'art perfectible.
Nous savons qu'on ne dépassera ni Phidias, ni Raphaël. Mais nous ne
déclarons pas, en secouant tristement la tête, qu'il est à jamais
impossible de les égaler. Nous ne sommes pas ainsi, dans les secrets de
Dieu. Celui qui a créé ceux-là ne peut-il pas en créer d'autres? Pourquoi
vouloir arrêter l'esprit humain? Toutes les époques lui conviennent,
tous les climats lui sont bons. L'antiquité a Homère, mais le moyen âge
a Dante, Shakespeare et les cathédrales au nord; la bible et les
pyramides à l'orient.
Et
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