Littérature Française (Première Année) | Page 4

E. Aubert
premier plan, LES GRANDES CHRONIQUES.
Sa méthode n'est pas très philosophique. L'histoire pour lui n'est pas matière à études, réflexions et le?ons morales; il n'y voit qu'un sujet de tableaux, et tout ce qu'il cherche c'est de les peindre avec éclat. Aussi réussit-il surtout dans le récit, dans les descriptions: il n'y en a pas de plus belles que ses descriptions de batailles.
Son héros favori est le Prince Noir. L'Angleterre s'en souvient: nul écrivain fran?ais n'y est plus populaire.
Comme chroniqueur il est clair, méthodique, suffisamment impartial; comme écrivain il est net, animé et brillant. Le Moyen ?ge chevaleresque n'a pas eu de meilleur peintre que lui, et jamais peut-être la langue n'a fait plus de progrès que de Joinville à Froissart.
La chronique de Froissart est le livre d'or de la noblesse féodale: c'est une illustration en grand de la chevalerie. Ce que celle-ci produisit de plus fameux, ce qu'il y avait de plus brillant dans la vie d'alors, fêtes, tournois, batailles, Froissart l'a peint dans un cadre magnifique. Il ne s'est guère occupé de ce qui ne brille pas.... Il n'est pas de ces historiens graves qui s'ensevelissent sous des paperasses, au fond d'un cabinet, qui recherchent, et compulsent, et commentent, et comparent, et discutent, et raisonnent, et expliquent.... Son grand soin est de bien relater ce qu'il a appris, d'écrire avec verve et coloris, de faire un livre intéressant, animé, populaire, et cela il l'a fait.... On lui a reproché d'avoir été peu patriotique. Cela est vrai si l'on mesure la patrie par degrés de latitude, si on la resserre dans les étroites bornes d'une géographie nationale. Mais il ne comptait pas ainsi, le grand voyageur. Sa patrie à lui c'est l'Europe chevaleresque. Il est compatriote de tout ce qui est noble et brave, il aime toute fleur de chevalerie et a de belles paroles pour tous ceux qui font vaillamment.
.....
Froissart a des qualités de l'historien; il arrive à la grandeur par l'exactitude, et aussi par l'imagination, mais presque jamais parle jugement, par cette faculté qui compare les faits et prononce sur leur légitimité, faculté que possédait à un degré assez éminent le florentin Villani contemporain de notre chroniqueur.
Duquesnel.
V.
PHILIPPE DE COMINES. Né près de Menin en Flandre en 1445, mort en 1509.
Philippe de Comines est le premier écrivain fran?ais qui ait traité l'histoire comme elle doit être traitée. Il ne se contente pas de raconter, de peindre, il explique; il dégage de l'étude des événements et des caractères des vérités utiles, un enseignement.
Il a écrit L'HISTOIRE DU ROI LOUIS XI.
C'était un roi d'une grande finesse politique, habile et rusé. Un de ses bons tours d'habileté fut l'acquisition même de Comines. Il l'enleva à son ennemi le duc de Bourgogne, Charles le Téméraire. Comines se laissa enlever sans croire qu'il manquait à ses devoirs. Il avait peu de go?t pour le duc de Bourgogne; le roi de France lui plaisait mieux. Il était de ces hommes qui apprécient les choses en raison de leur utilité et les hommes en proportion de leur habileté à profiter des choses. Sa nature était droite, sa morale peu élevée.
Son histoire se compose de deux parties. Les six premiers livres traitent de Louis XI, les deux derniers de l'expédition de Charles VIII en Italie. Son style a de la vigueur et de la précision. Il a la force de la réflexion, la puissance de la logique. La langue de Froissart est la langue des faits. Comines a parlé la langue des idées: c'est celle-ci surtout qu'il y a du profit à écouter.
Philippe de Comines est, en date, le premier écrivain vraiment moderne. Les lecteurs même qui ne voudraient pas remonter bien haut, ni se jeter dans la curiosité érudite, ceux qui ne voudraient se composer qu'une petite bibliothèque fran?aise toute moderne ne sauraient se dispenser d'y admettre Montaigne et Comines.
Ce sont des hommes qui ont nos idées et qui les ont dans la mesure et dans le sens où il nous serait bon de les avoir, qui entendent le monde, la société, particulièrement l'art d'y vivre et de s'y conduire, comme nous serions trop heureux de l'entendre aujourd'hui; des têtes saines, judicieuses, munies d'un sens fin et s?r, riches d'une expérience moins amère que profitable, et consolante, et comme savoureuse. Ce sont des conseillers et des causeurs bons à écouter après trois ou quatre siècles comme au premier jour: Montaigne sur tous les sujets et à toutes les heures, Comines sur les affaires d'état, sur le ressort et le secret des grandes choses, sur ce qu'on nommerait dès lors les intérêts politiques modernes, sur tant de mobiles qui menaient les hommes de son temps et qui n'ont pas cessé de mener ceux du n?tre.
Sainte-Beuve.
Pour le sentiment du bon et du mal Comines n'est pas au-dessus de son siècle. Ses idées sur les droits des peuples sont
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