n'y a ni apprêt ni art.
Sa langue est primitive; l'orthographe en est singulière. Des débris de mots latins s'y rencontrent fréquemment, et le nombre des monosyllabes est considérable.
C'est une langue de soldat, rude et roide, mais elle suffit à la sobriété de son esprit, et a une harmonie naturelle qui ne manque pas de charme.
"Villehardouin est bien un homme de son temps, non pas supérieur à son époque, mais y embrassant tous les horizons; preux, loyal, croyant, crédule même, mais sans petitesse; des plus capables d'ailleurs de s'entremettre aux grandes affaires; homme de conciliation, de prudence et même d'expédients; visant avec suite à son but, éloquent à bonne fin, non pas de ceux qui mènent, mais de première qualité dans le second rang, et sachant au besoin faire tête dans les intervalles; attaché féalement, avec reconnaissance, mais sans partialité, à ses princes et seigneurs, et gardant sous son armure de fer, et du haut de ses chateaux de Macédoine ou de Thrace des mouvements de coeur et des attaches pour son pays de Champagne.
"Il a des larmes sous sa visière, mais il n'en abuse pas; il sait s'agenouiller à deux genoux, et se relever aussit?t sans faiblesse: il a l'équité et le bon sens qu'on peut demander aux situations où il se trouve; jusqu'à la fin sur la brèche, il porte intrépidement l'épée, il tient simplement la plume; c'est assez pour offrir à jamais, dans la série des historiens hommes d'action où il est placé, un des types les plus honorables et les plus complets de son temps." Sainte-Beuve.
III.
JOINVILLE (le sire de). Né vers 1223 et mort vers 1319.
Cent années séparent Joinville de Villehardouin. Il se fit, dans cet espace de temps, un progrès manifeste dans la langue. Il est facile de s'en rendre compte en comparant l'histoire de la quatrième croisade à la VIE DE LOUIS IX. Comme Villehardouin, Joinville raconte ce qu'il a vu, mais avec un enjouement, une délicatesse d'esprit et une grace que n'avait pas l'historien de la quatrième croisade.
Il avait été élevé à la cour élégante de Thibaut, comte de Champagne. Il y apprit les belles manières et le beau parler en honneur parmi les troubadours. Louis IX l'emmena à sa première croisade. Elle fut désastreuse.
Joinville eut sa bonne part de souffrances. Quand il revint en France, il jura bien de ne plus s'embarquer dans de pareilles expéditions. Le roi fut moins sage, et vingt ans plus tard il paya de sa vie l'imprudence de sa dernière croisade. C'est de cette vie que Joinville a fait le récit. Il est plein de candeur et de charme, et révèle dans une langue na?ve, abondante et gracieuse des qualités d'écrivain inconnues avant lui.
Le livre de Joinville est à la fois une bonne action et un écrit admirable. C'est peut-être le premier monument de génie en langue fran?aise, dit M. Villemain. "J'entends par génie un degré d'originalité dans le langage, une physionomie particulière et expressive, quelque chose enfin qui a été fait par un homme et qui n'aurait pas été fait par un autre." Joinville décrit délicieusement. Son ignorance en histoire, en géographie, est grande, mais il est curieux. Il s'informe, il aime à apprendre. Il raconte comme il se souvient, il répète même ce qu'il a dit sans se mettre en peine de la méthode. Au milieu d'un désordre apparent et d'une raillerie enjouée règne toujours un charme inexprimable, une sensibilité qui ne s'altère pas dans les périls et les larmes. Joinville a la conception nette, l'image ressemblante, la comparaison naturelle et poétique; il a la na?veté, la simplicité, et un brin de rêverie qui tempère agréablement la vivacité pétulante de son esprit.... Sa bonne foi n'a pas de détours; elle parie par sa bouche de l'abondance du coeur, elle est chez lui comme une espèce de verve, d'inspiration poétique qui lui fait rencontrer l'expression la plus vraie, la plus pittoresque. Il est incapable de mentir. L'amour de soi, la haine d'autrui, l'esprit de jalousie qui pénètre si souvent les Mémoires ne se rencontre pas dans les siens. Il dit rarement du mal de quelqu'un. Il n'a pas l'humeur chagrine des vieillards; il possède les couleurs et la simplicité de la jeunesse. Rien de si animé, de si vif, de si jeune que son style. Le langage na?f d'alors donne sans doute de l'intérêt au récit, mais il re?oit un charme nouveau de son esprit et de son caractère. .....
IV.
JEHAN FROISSART. Né à Valenciennes en 1337, mort à Chimai en 1410.
Le progrès de la langue continue d'une manière visible de Joinville à Froissart.
D'importants événements eurent lieu.
Froissart en fut le chroniqueur. Il parcourut avec une curiosité infatigable les pays de l'Europe où il pouvait apprendre quelque chose, et réunit ainsi de quoi écrire une espèce d'histoire générale de l'Europe au XIVe siècle, avec l'Angleterre et la France au
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