vermisseaux qui lui servaient de drap mortuaire le tourmentaient sans cesse. Tout à coup, au pied de sa couche glacée, se levait lentement l'ombre d'une jeune fille, enveloppée d'un immense voile blanc, qui l'invitait à la rejoindre; et il faisait d'inutiles efforts pour se soulever. La jeune fille levait son voile et, sur son corps d'une beauté éblouissante, il voyait un visage dévoré par un cancer hideux, qui lui présentait une bouche sanglante à baiser. Puis l'ombre de Guillemette se présentait à son chevet, pale et livide; de son crane fracassé s'écoulait une longue trace de sang et sa chemise entrouverte laissait voir une profonde blessure à son col. Il se sentait près de défaillir; mais l'apparition lui jetait quelques gouttes de sang sur les tempes et ses forces s'augmentaient malgré lui. Il voulait se fuir lui-même; mais une voix intérieure lui répétait sans cesse: Seul avec tes souvenirs!
CHAPITRE QUATRIèME
Le cadavre
Enfin, Dieu l'a voulu et l'heure est décidée.
BERTAUD.
Mais lorsqu'à ses c?tés le sépulcre s'entrouvre. Et que la mort surgit, c'est alors qu'il a peur.
GRATOT.
Ne buvez pas à la coupe du crime, au fond est l'amère détresse et l'angoisse de la mort.
LAMENNAIS.
L'homme coupable peut dormir quelque temps en sécurité; mais lorsque la coupe du crime est remplie, une dernière goutte y tombe et, comme une voix descendue du ciel, vient faire retentir aux oreilles du criminel ces terribles paroles: c'est assez! Puis alors adieu tous les rêves de bonheur fondés sur cette base impure, le remords commence son office de bourreau et chaque espérance est détruite par une réalité. Oh! qu'il doit être horrible le remords qui présente au malheureux, comme dernière perspective, le gibet! Le gibet avec toute sa solennité, sa populace silencieuse, ses officiers en noir, son ministre de l'évangile, le bourreau et sa dernière pensée--la mort! Telles étaient les idées qui devaient troubler Lepage dans sa profonde sécurité. Il ne se doutait guère, lorsqu'il fut réveillé en sursaut, sur les huit heures du matin, par la voix qui lui criait que désormais il serait seul avec sa pensée, qu'avant minuit cette sentence serait accomplie.
Sa préoccupation de la veille lui avait fait oublier qu'à une demi-lieue de chez lui, une jolie anse de sable avan?ait à une grande distance dans le fleuve et, qu'au baissant de la marée, le courant y portait avec beaucoup de force. C'est là qu'après avoir été longtemps le jouet des flots, le corps de Guillemette fut se reposer sur le sable derrière la maison où St-Céran avait passé la nuit. Au point du jour la fermière courut à sa pêche afin de chercher du poisson pour le déjeuner de son h?te. Qui pourrait peindre son horreur lorsque sa marche fut arrêtée par un cadavre qu'elle heurta! Elle rebroussa chemin aussit?t et courut donner l'alarme chez elle. Son mari, accompagné de St-Céran et de plusieurs domestiques, s'y rendirent sur-le-champ. Quel fut l'étonnement de notre jeune voyageur lorsqu'il reconnut son ami! Il allait jeter un cri de surprise, lorsqu'il aper?ut une blessure au crane. Il devint alors calme et observa seulement. Malheureux jeune homme!--Il faut le transporter immédiatement chez vous, M. Thibault.
Ayant déposé silencieusement le cadavre sur une planche, ils prirent le chemin de la maison, accompagnés de la femme et des domestiques qui suivaient en pleurant: car c'était une émotion violente pour des ames vierges qui n'avaient jamais eu occasion d'aller se blaser même sur l'idée de la mort, dans nos théatres. Pauvres créatures! elles n'auraient pas versé de larmes si elles avaient eu l'avantage immense, dont nous avons su si bien profiter, celui d'ensevelir leur sensibilité sous le rideau qui termine un des drames de Victor Hugo ou d'Alexandre Dumas.
Le corps fut déposé dans le plus bel appartement de la maison sur deux planches appuyées à chaque bout sur des chaises, puis recouvert d'un drap blanc. Deux cierges, une soucoupe d'eau bénite avec un rameau de sapin vert, furent posés à ses pieds et le père accompagné de sa famille récitèrent à haute voix les prières des morts.
St-Céran, après leur avoir recommandé le secret sur cet événement (secret qui fut gardé jusqu'à ce qu'ils purent se rendre chez leurs voisins), alla trouver un magistrat respectable du lieu et lui communiqua ce qu'il savait; ajoutant qu'il était prêt à prêter le serment voulu: qu'en son ame et conscience il croyait Lepage l'auteur du meurtre. Toutes les formalités remplies, il ne restait plus qu'à exécuter l'ordre d'arrestation, chose d'autant moins facile qu'ils connaissaient tous deux le caractère désespéré de ce dernier. Après avoir consulté un homme de loi très éclairé qui demeurait près de là, ils résolurent de faire tous leurs efforts pour empêcher que la nouvelle ne lui parvint, et en même temps, aviser quelque expédient pour s'assurer de sa personne.
Onze heures sonnaient lorsqu'une vingtaine de personnes partirent de la demeure du magistrat, précédées d'une
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