voiture et marchant dans le plus profond silence. Arrivées au but, la maison fut entourée et tous attendirent le dénouement de leur stratagème. Le jeune homme qui conduisait la voiture l'arrêta et frappa à la porte. Cinq minutes après, une voix forte demanda: Qui va là?
--Je viens vous chercher pour la mère Caron qui a ben rempiré, M. le docteur; fut la réponse.
--Je suis malade, je ne puis sortir.
--Eh ben, elle demande si vous pourrez pas y donner de quoi la faire dormir?
--Attends un peu. Cinq minutes après, le charlatan entrouvrait sa porte de manière à y passer le bras seulement et présentait une fiole. Le jeune homme avait bien joué son r?le jusque-là et n'avait pas re?u d'autres instructions; car ceux qui lui avaient dicté ce qu'il devait faire croyaient que cela suffirait pour leur livrer celui qu'ils attendaient. Mais il sentit que le coup était manqué s'il ne trouvait quelque expédient: une idée lumineuse le frappa.
--J'ai peur de la casser, monsieur, dit-il, je vas embarquer car la jument est mal commode, voudrez-vous me la donner dedans la voiture, et il accompagnait ses paroles de l'action. Lepage sortit pour la lui donner, et fut aussit?t saisi par un bras vigoureux, et entouré; il essaya en vain de s'emparer d'une hache et d'un fusil qu'il avait près de la porte, il fut obligé de succomber au nombre, et se laissa lier en demandant, d'un air calme, ce qu'on lui voulait. Il fut alors informé, par le magistrat, de quelle nature était l'accusation portée contre lui.
--S'il n'y a que cela, dit-il, mon innocence est ma sauvegarde.
--C'est ce que nous verrons, reprit aussit?t le diseur de bons mots de la paroisse qui se trouvait là, et il allait commencer ses plaisanteries sans fin lorsqu'il fut averti par le magistrat, homme sévère, que le prisonnier n'était pas encore trouvé coupable par un jury de son pays, que, quand bien même il le serait, sa situation devait inspirer la pitié plut?t que le persiflage, et que pour le présent il devait être traité avec égard. Il le fit ensuite asseoir, et le pla?a sous la garde de quatre hommes. Lepage demanda si on voulait lui permettre de se reposer: sur la réponse affirmative il se coucha à terre et, quelques minutes après, il feignait d'être enseveli dans un profond sommeil. Le magistrat se retira ensuite avec un ordre strict qu'il y e?t pendant toute la nuit une garde armée suffisante près de lui.
La tempête qui, la nuit précédente, avait cessé lorsque le corps du malheureux Guillemette était devenu le jouet des flots, ébranlait de nouveau la petite maison où gisait le meurtrier, et quelques gouttes de grosse pluie frappaient de temps à autre les vitrages. Sur un matelas, dans un coin de la chambre encore teinte de sang, était couché Lepage, le dos tourné aux assistants, et sa tête enveloppée d'une couverture. Trois des gardiens armés de fusils n'avaient rien de remarquable: leurs regards annon?aient la bonhomie du cultivateur canadien, et contrastaient avec leur occupation; quant au quatrième, il paraissait à sa place: ce personnage gros et trapu avait le regard farouche, et une immense paire de favoris rouges qui lui couvraient la moitié du visage donnaient quelque chose d'atroce à sa physionomie.--Il tenait dans sa main droite, avec l'immobilité d'une statue, un grand sabre écossais qu'il appuyait sur sa cuisse. Plusieurs habitants fumaient tranquillement leur pipe et, au milieu d'eux, était un voyageur qui, ayant passé trente ans au service de la Compagnie du Nord-Ouest, n'était revenu que depuis quelque temps au sein de sa famille, étonnée de son retour.--St-Céran écrivait assis près d'une table.
Cependant la tempête mugissait avec fureur, la pluie tombait par torrents, les éclairs sillonnaient la nue et le tonnerre grondait comme au jugement dernier. Tous les regards se tournèrent vers Lepage qui paraissait insensible à ce qui se passait autour de lui, sur la terre et dans les cieux.
--Il dort, dit St-Céran, il dort paisiblement tandis que l'ange vengeur plane au-dessus de lui et semble exciter la fureur des éléments.
--C'est plut?t le diable, dit Fran?ois Rigault, qui se réjouit d'avance de la bonne prise qu'il va faire; je suis certain qu'il y aura fête, pendant quinze jours, à son arrivée au pays de Satan.
--Paix! dit St-Céran, paix! mon cher Fran?ois; ceci n'est point matière à badinage, et le malheureux, teint du sang de son frère, doit inspirer une pitié mêlée d'horreur plut?t que des plaisanteries.
--M. St-Céran a raison, dit Joseph Bérubé, laissons le diable tranquille; pour moi je n'aime pas à en parler dans cette maison, et par le temps qu'il fait.
--As-tu peur qu'il nous rende visite? dit Fran?ois, d'un air goguenard.
--Eh! Eh! je n'en sais trop rien, dit le vieux voyageur, il a visité des maisons où il semblait avoir moins de droits qu'ici.
--Racontez-nous cela, père Ducros, dit
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