air inquiet, son sommeil inégal et entrecoupé de paroles sans suite. ?Il n'est pas encore entièrement sous "l'influence de l'opiat"?, se dit-il, et il retourna s'asseoir sur un sofa. La lumière qui br?lait sur la table laissait échapper une lueur lugubre qui donnait un relief horrible à son visage sinistre enfoncé dans l'ombre; relief horrible, non par l'agitation qui se peignait sur des traits d'acier, mais par le calme muet et l'expression d'une tranquillité effrayante. Il se leva de nouveau, s'avan?a près d'une armoire et en sortit un marteau qu'il contempla avec un sourire de l'enfer: le sourire de Shylock, lorsqu'il aiguisait son couteau et qu'il contemplait la balance dans laquelle il devait peser la livre de chair humaine qu'il allait prendre sur le coeur d'Antonio. Il donna un nouvel éclat à sa lumière; puis, le marteau d'une main et enveloppé dans les plis de son immense robe, il alla s'asseoir près du lit du malheureux Guillemette.
Il considéra, pendant quelque temps, son sommeil paisible, avant-coureur de la mort qui ouvrait déjà ses bras pour le recevoir; il écouta un moment les palpitations de son coeur:--quelque chose d'inexprimable et qui n'est pas de ce monde [mais de] l'enfer passa sur son visage; il resserra involontairement le marteau, écarta la chemise du malheureux étendu devant lui et, d'un seul coup de l'instrument terrible qu'il tenait à la main, il coupa l'artère jugulaire de sa victime. Le sang réjaillit sur lui et éteignit la lumière. Alors s'engagea dans les ténèbres une lutte horrible! lutte de la mort avec la vie. Par un saut involontaire Guillemette se trouva corps à corps avec son assassin qui trembla pour la première fois en sentant l'étreinte désespérée d'un mourant et en entendant, près de son oreille, le dernier rale qui sortait de la bouche de celui qui l'embrassait avec tant de violence, comme un cruel adieu à la vie. Il eut néanmoins le courage d'appliquer un second coup et un instant après il entendit, avec joie, le bruit d'un corps qui tombait sur le plancher; le silence vint augmenter l'horreur de ce drame sanglant et la pendule sonna onze heures.
Il ralluma sa bougie avec peine et revint dans le cabinet où il s'effor?a, en vain, d'arrêter le sang qui sortait de la blessure:--Faisons dispara?tre aussit?t que possible toutes ces traces qui pourraient me trahir, se dit-il. Et, quant à toi, ton linceul, c'est l'onde. Il dépouilla ensuite le corps et lui attacha les pieds avec une corde, fit le tour de chaque fenêtre pour voir s'il n'entendrait aucun bruit du dehors, il ouvrit sa porte; mais aucune voix étrangère ne troublait le silence de la nuit: la tempête régnait dans toute son horreur; et le sifflement du vent, mêlé au fracas de la pluie et au mugissement des vagues, se faisait seul entendre. Il referma la porte avec précaution, ouvrit la fenêtre qui donnait sur le rivage, y jeta le corps et le rejoignit aussit?t. La force du vent le faisait chanceler et la noirceur de la nuit l'empêchait de voir la petite embarcation dans laquelle il se proposait de se livrer avec sa victime à la merci des flots. Il la trouva enfin et, quoiqu'il e?t fallu la force de deux hommes pour la soulever, il la fit partir de terre d'un bras vigoureux, y déposa le corps et la porta jusqu'à l'endroit où la vague venait expirer sur le rivage. Il attacha alors le cadavre derrière le canot et, s'y étant placé, il fit longtemps de vains efforts pour s'éloigner: le vent qui soufflait avec force du nord et la marée montante le rejetaient sans cesse sur la c?te. Enfin, par une manoeuvre habile, il parvint à gagner le large, et après un travail pénible de deux heures, épuisé de fatigue et se croyant dans le courant du fleuve qui court sur la pointe de Saint-Roch, il coupa la corde et dirigea sa course vers le rivage. Il trouva tout chez lui dans le même ordre qu'il l'avait laissé, referma la fenêtre et se mit à l'ouvrage. Il déposa l'argent dans son coffre, brisa la cassette dans laquelle le colporteur transportait ses marchandises, les mit dans un sac qu'il serra, jeta les planches dans la cheminée, mit de c?té les habillements, lava les taches de sang du mieux qu'il put, puis se jeta sur son lit où il ne tarda pas à s'endormir d'un profond sommeil. La fatigue le fit reposer pendant quelques heures; mais, vers le matin, son imagination frappée de la veille vint les lui rappeler avec des circonstances horribles.
Il lui sembla que sa demeure était transformée en un immense tombeau de marbre noir; que ce n'était plus sur un lit qu'il reposait, mais sur le cadavre d'un vieillard octogénaire auquel il était lié par des cheveux d'une blancheur éclatante. Des milliers de
Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.