Lillustre comédien, ou Le martyre de Sainct Genest | Page 8

Nicolas-Marc Desfontaines

plaindre, ou feindre une colere! Que l'amour en leur bouche est capable
de plaire! Et que leur industrie a de grace & d'appas À dépeindre un
tourment qu'ils ne ressentent pas! N'as tu point remarqué ce qu'a dit
Luciane En faveur des Chrestiens & de leur loy prophane? Elle en a
soustenu l'erreur avec tant d'art, Que j'ay creû quelque temps qu'elle
parloit sans fard, Et que le trait dont lors elle sembloit atteinte, Estoit
un pur effect, & non pas une feinte.
RUTILE.
Il est vrai, mais, Seigneur, n'as-tu pas entendu, Ce que Genest a dit
quand il s'est deffendu? Avec combien d'esprit, d'adresse, & de courage,
Il a de nos autels conservé l'advantage? Et par quel art enfin, & quelle
invention, Il se porte au mespris de leur religion?
DIOCLETIAN.
Ouy, sa subtilité n'eût jamais de pareilles.
AQUILLIN.
Attends un peu, Seigneur, tu verras des merveilles Qui raviront tes sens
avecque tant d'appas, Que mesme en les voyant tu ne le croiras pas.

SCENE II.
Diocletian. Aquillin. Rutile, & suitte. Genest. Pamphilie. Aristide.
Luciane. Anthenor.
GENEST.
Où suis-je? Qu'ay-je veu? Quelle divine flame, Vient d'esblouïr mes
yeux, & d'esclairer mon ame? Quel rayon de lumiere espurant mes
esprits, A dissippé l'erreur qui les avoit surpris? Je croy, je suis

Chrestien; & cette grace extréme, Dont je sens les effects est celle du
Baptéme.
PAMPHILIE.
Chrestien? Qui vous l'a faict?
GENEST.
Je le suis.
ARISTIDE.
Resvez vous?
GENEST.
Un Ange m'a faict tel.
ANTHENOR.
Devant qui?
GENEST.
Devant tous.
LUCIANE.
Personne toutesfois n'a veu cette adventure.
RUTILE, à l'Empereur.
Il leur va debiter quelque estrange imposture.
AQUILLIN.
Qu'il feint bien!
DIOCLETIAN.

Il est vray qu'on ne peut feindre mieux, Et qu'il charme l'oreille aussi
bien que les yeux.
GENEST.
Quoy, vous n'avez pas veu cette clarté brillante, Dont l'effect
merveilleux surpassant mon attente, Avecque tant d'eclat a paru dans ce
lieu Alors qu'il a reçeu le ministre d'un Dieu.
ARISTIDE.
Quel Ministre? Quel Dieu? Tu nous contes des fables.
GENEST.
Non, Amys, je vous dis des choses veritables, Nagueres quand icy j'ay
paru devant vous: Les yeux levez au Ciel, teste nue, à genoux, Je
voyois, ô merveille à peine concevable! À travers ce lambris un prodige
admirable, Un Ange mille fois plus beau que le Soleil, Et qui me
promettant un bonheur sans pareil, M'a dit qu'il ne venoit, si je le
voulois croire, Que pour me revestir des rayons de sa gloire. Lors tous
mes sens ravis d'un espoir si charmant: Ont porté mon esprit à ce
consentement, Qui remplissant mon coeur d'une joye infinie A fait voir
à mes yeux cette ceremonie, L'Ange, dont la presence estonnoit mon
esprit, En l'une de ses mains tenoit un livre escrit, Où la bonté du Ciel
secondant mon envie, Je lisois aisément les crimes de ma vie, Mais
avec un peu d'eau que l'autre main versoit, Je voyoit aussi-tost que
l'escrit s'effaçoit, Et que par un effect qui passe la nature, Mon coeur
estoit plus calme, & mon ame plus pure. Voila ce que j'ay veu, voila ce
que je sens, Et qui produit en moy des transports si puissans. Loing de
moy desormais estres imaginaires, Fleaux des foibles esprits, & des
Ames vulgaires, Faux Dieux, ce n'est plus vous aujourd'huy que je
crains, Ny ce foudre impuissant que l'on peint en vos mains: Je ne vous
connois plus, allez, je vous deteste, Et mon coeur embrazé d'une flame
celeste, Adore un Dieu vivant dont l'extréme pouvoir, Se faict craindre
par tout, & par tout se faict voir.
DIOCLETIAN.

Cette feinte, Aquillin commence à me desplaire, Qu'on cesse.
GENEST.
Il n'est pas temps, ô Cesar! de me taire; Ce Seigneur des Seigneurs, &
ce grand Roy des Roys, De qui tout l'univers doit reverer les loix,
Soubs qui l'Enfer fremit, & que le Ciel adore, Veut que je continue, &
que je parle encore, Sçache donc, Empereur, que ce Dieu souverain De
qui j'ay ressenty la puissance, & la main, Lors que je me pensois rire de
ses oracles, Vient d'operer en moy le plus grand des miracles,
Changeant un idolatre en son adorateur, Et faisant un sujet de son
persecuteur. Ne pensant divertir, ô prodiges estranges! Que de simples
mortels, j'ay resjouy des Anges, Et dedans le dessein de complaire à tes
yeux, J'ay pleû sans y penser à l'Empereur des Cieux. Il est vray que
privé de ses graces extrémes, J'ay tantost contre luy vomy mille
blasphémes, Mais dans ces faux discours que ma langue estaloit, Ce
n'estoit que l'Enfer, & non moy qui parloit, Ce commun Ennemy de
tout ce qui respire, Qui par le crime seul establit son Empire: Ayant
trompé mes sens, & seduit ma raison, M'avoit mis dans le coeur ce
dangereux poison: Mais enfin de mon Dieu les bontez infinies, Ont
toutes ces horreurs
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