Qui m'oste mes Amis, mes
biens, & mon esclat, (Pardonnez ce discours à ma melancholie,) Que
deviendront nos feux aymable Pamphilie? Je sçay que vostre coeur est
grand, & genereux, Mais quoy, vous estes femme, & je suis
malheureux.
PAMPHILIE.
Il est vray, je suis femme, & je le tiens à gloire, Puis qu'aujourd'huy ce
nom releve ma victoire, Et faict voir en mon sexe un esprit assez fort,
Pour vaincre mieux que vous les malices du sort, Je ne rediray point icy
que je vous ayme, Qu'ainsi que vos vertus mon amour est extréme, Mes
yeux & mes souspirs vous l'ont dit mille fois, Et vous l'ont exprimé
beaucoup mieux que ma voix: Mais de quelques rigueurs dont le sort
vous accable, Fussiez vous en un point encor plus deplorable, Je vous
puis asseurer que ma fidelité Sera jusqu'au tombeau sans inegalité.
GENEST.
He! bien, je croiray donc dans le mal qui m'afflige, Que la nature en
vous aura faict un prodige, Et qu'en vous faisant naistre elle aura mis au
jour, Un miracle parfaict de constance, & d'amour, Bien qu'en cette
bonté dont mon ame se flatte, Vostre adresse plutot que mon bon heur
esclatte, Je veux bien toutesfois pour calmer ma fureur, Decevoir mon
esprit d'une si douce erreur. Ouy, Madame, je veux que mon ame soit
vaine, Jusqu'à vous croire atteinte, & sensible à ma peine, Et me
persuader qu'un feu si bien espris, Au delà de vos jours touchera vos
esprits; Mais encor qu'à ce point vous soyez genereuse, Pouray-je
consentir à vous voir malheureuse, Et que tacitement il vous soit
imputé: Que sans moy vous seriez dans la prosperité? Ha! Madame?
souffrez qu'en ce desordre extréme, Ma raison une fois parle contre
moy-mesme, Et qu'agissant pour vous, elle monstre en ce jour, Par un
estrange effect un veritable amour.
ARISTIDE.
Ta flame, cher Amy, nous est assez connue: Je voids en tes discours ton
ame toute nue, Et parmy l'embaras de tant de passions Je descouvre
aisément tes inclinations. Je sçay bien que ton coeur & constant &
fidele, Pour l'objet qu'il adore a tousjours mesme zele, Et que tu
trouverois un Empire importun, Si ce rare bonheur ne nous estoit
commun, Mais je sçay bien aussi que ton noble courage, A peine à
consentir qu'il ayt quelque advantage, Et ces deux mouvemens
succedans tour à tour, Font combattre ta gloire avecque ton amour.
Mais veux tu t'affranchir de cette incertitude, Qui nourit tes transports,
& ton inquietude: Escoute les conseils que je te veux donner: Tu nous
dis qu'Anthenor te veut abandonner, Et te priver à tort des droits de ton
partage, Si tu ne suis l'erreur où son ame s'engage, Dy luy pour parvenir
au but où tu pretens: Que tu rendras ses voeux, & ses desirs contens; Et
feints pour cét effect par un beau stratagéme, Que tu veux comme luy
recevoir le baptéme. Suivant l'opinion de leur bizare loy, Leurs
mysteres sont vains quand on manque de foy; De sorte qu'en ton coeur
mesprisant leurs manies, Tu n'auras observé que des ceremonies, Qui
n'ayans pas rendu le baptéme parfait: N'auront produit en toy qu'un
ridicule effect. Acquiers toy de vrays biens avec de faux hommages:
Un peu d'eau, Cher Amy, calme de grands orages; Fay que celle qui
nuit à tous ses partizans, Pour toy seule aujourd'hui produise des
presens, Et se rende pareille apres ton entreprise, A la pluye envoyée à
la fille d'Acrise.
GENEST.
L'effect de ce conseil offenceroit les Dieux.
ARISTIDE.
L'effect de ce conseil leur sera glorieux, Puis qu'à l'aversion de cette loy
nouvelle, Tu joindras les mespris que ton coeur a pour elle, Reservant à
l'honneur de nos sacrez autels: Une ame toute pure, & des voeux
immortels.
GENEST.
À quoy me resoudray-je, aymable Pamphilie?
PAMPHILIE.
Je crains.
ARISTIDE.
Que craignez vous?
PAMPHILIE.
Tout.
ARISTIDE.
Dieux! quelle folie? Vous craignez, dites vous, Quoy? que deux gouttes
d'eau De son ardente amour esteignent le flambeau?
PAMPHILIE.
Non, mais que cette erreur à la fin ne luy plaise, Et qu'elle n'ayt pour
nous une suitte mauvaise.
GENEST.
Ha! ne me croyez pas d'un esprit si peu sain.
PAMPHILIE.
Vous pouvez donc agir, & suivre ce dessein.
GENEST.
Il faut adroitement conduire ceste affaire.
ARISTIDE.
Laissez m'en le soucy, je verray vostre Pere, Et je sçauray si bien
mesnager ses esprits, Qu'aveuglé de l'appas du dessein entrepris, Il ne
pourra jamais à travers mon adresse, Se douter seulement du piege
qu'on luy dresse; Cependant finissant de si longs entretiens Allez tous
deux m'attendre au Temple des Chrestiens.
Fin du second Acte.
ACTE TROISIEME.
SCENE PREMIERE.
Diocletian. Aquillin. Rutile.
DIOCLETIAN.
Rutile, je l'advoue, ils sont incomparables, Et tous en leurs projets me
semblent admirables; Que l'accord de leurs voix, & de leurs actions,
Exprime adroittement toutes leurs passions! Qu'ils se sçavent bien
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