Lillustre comédien, ou Le martyre de Sainct Genest | Page 9

Nicolas-Marc Desfontaines
de mon Ame bannies, Et je veux, ô Cesar! qu'on
sçache à l'advenir, Que je n'ay plus de voix qu'affin de le benir, Qu'affin
de publier aux deux bouts de la terre, Qu'il est seul souverain, seul
maistre du tonnerre, Des cieux, des elemens, des Anges, des mortels, Et
digne seul enfin, & d'encens, & d'autels.
DIOCLETIAN.
Il a perdu le sens, & son ame troublée, Rend comme son esprit sa
langue dereglée.
GENEST.
Non, non, mon jugement ne fut jamais plus sain Qu'alors qu'il a
chocqué tes Dieux, & ton dessein, Et si je l'ay perdu, c'est lors que mes
paroles D'un accent criminel ont flatté tes idoles.
DIOCLETIAN.

Ha! ne m'irrite pas, insolent, c'est assez. Ou l'on te traittera comme les
insensez.
GENEST.
Ce traittement n'est pas celuy que je souhaitte, Car on me traitteroit
ainsi que l'on te traitte.
DIOCLETIAN.
On me traitte en Cesar, en Empereur Romain.
GENEST.
On te traitte en esclave, & non en souverain, Puis que loing d'escouter
cette bonté supréme, Ce Dieu de qui les Roys tiennent leur diadéme,
Souvent tu rens hommage au gré d'un courtizan, À l'ouvrage imparfaict
d'un chetif Artizan, Qui suivant son caprice, ou celuy de ces traistres,
Te compose des Dieux, & te donne des Maistres.
DIOCLETIAN.
Voyez l'audacieux! il croit possible encor, Faire sur un Theatre ou
l'Achile, ou l'Hector.
GENEST.
Non, non, par ma raison mon ame mieux guidée, Ne souffre plus en
elle une si vaine Idée, Je me connois, Cesar, je sçais ce que je suis.
DIOCLETIAN.
Mais sçais-tu bien aussi, traistre, ce que je puis?
GENEST.
Ouy, ton pouvoir n'est pas un effect que j'ignore, Je sçay que l'on te
craint, & que Rome t'adore, Mais je sçay bien aussi ce qu'un Dieu me
prescrit: Tu peux tout sur mon corps, & rien sur mon esprit.

DIOCLETIAN.
Nous allons esprouver cette haute constance.
GENEST.
Tu peux dés à present en faire experience. Commande à tes boureaux
qu'ils m'accablent de fers.
DIOCLETIAN.
Perfide, ils t'apprendront le respect que tu pers, Si tu ne te resous à
changer de langage.
GENEST.
On ne change jamais quand on a du courage.
DIOCLETIAN.
Si faut-il toutesfois ou changer ou perir.
GENEST.
He! bien me voila prest, Tyran, allons mourir. Apportez, apportez ces
bienheureuses chaines, Instrumens de ma gloire ainsi que de mes
peines,
Luy rejettant son Escharpe.
Et reprends desormais ces liens odieux, Qui me rendoient naguere
esclave de tes Dieux. Que ceux qui n'ont pas veu les divines merveilles,
Qui viennent de ravir mes yeux & mes oreilles, De tes vaines grandeurs
se rendent partizans, Et d'un oeil envieux regardent tes presens. Pour
moy qui viens de voir de plus illustres marques, Du pouvoir de celuy
qui commande aux Monarques, Je n'ay plus de desirs qui soient si
criminels; Tes dons sont passagers, les siens sont eternels, Ses faveurs
sont d'un Dieu, tes caresses d'un homme; Et les honneurs du Ciel valent
bien ceux de Rome. Parle donc, Empereur, & haste mes tourmens; Tu

differes ma gloire, & mes contentemens, Fay souffrir à mon corps les
peines les plus dures, Irrite tes boureaux, invente des tortures, Et par un
sentiment qui ne t'est pas nouveau Qu'un deluge de sang te venge d'un
peu d'eau, Dont le divin effect m'a donné tant de graces, Qu'à tes yeux
aujourd'huy je brave tes menaces.
DIOCLETIAN.
Tu me braves, mutin, mais de ta trahison, Et la flame, & le fer me
feront la raison! Qu'on l'oste de mes yeux, soldats, que l'on l'entraine;
Faictes qu'en mesme temps on l'applique à la gesne, Et qu'il ressente là
de si vives douleurs, Qu'il estime la mort moindre que ses malheurs. Va
les suivre, Rutile, & voy s'il est possible, De reprimer l'orgueil de ce
coeur invincible: Menace, flatte, prie, importune, promets, Offre luy
des tresors, ouy, je te le permets, Des charges, des honneurs, & tout ce
qui dans Rome, Peut le mieux assouvir l'esperance d'un homme. S'il se
veut reconnoistre, & quitter son erreur, Son remords peut encor
desarmer ma fureur; Mais s'il s'obstine plus à faire le rebelle: Qu'on
l'expose aux ardeurs d'une flame cruelle, Qui sur son corps perfide
agissant peu à peu, Avec mille douleurs le brule à petit feu.
RUTILE.
J'observeray cét ordre.
DIOCLETIAN.
Allez.

SCENE III.
Diocletian. Aquillin. Anthenor. Pamphilie. Luciane. Aristide.
DIOCLETIAN.
Lasches complices! C'est vous que je destine aux plus aspres suplices:
Vous l'avez suborné, vos propos l'ont seduit, Mais de vos trahisons

vous recevrez le fruit, Ouy, je me vengeray d'un si sensible outrage,
Sans qu'on respecte en vous ny le sexe, ny l'âge, Sans qu'aucune pitié
flechisse mon couroux. Aquillin.
LUCIANE.
Ha! Seigneur, j'embrasse tes genoux.
DIOCLETIAN.
Importune.
ANTHENOR.
Cesar.
DIOCLETIAN.
C'est en vain que vos larmes, À ma juste rigueur pensent oster les
armes; Apres m'avoir bravé dans mon propre Palais, Quelle grace
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