Lillustre comédien, ou Le martyre de Sainct Genest | Page 6

Nicolas-Marc Desfontaines
de ces astres d'amour Dans mon
adversité me rendre un plus beau jour. Exemple merveilleux d'une rare
constance, Cher objet de mes voeux, & de mon esperance, C'est de
vous seule enfin qui gouvernez mon sort Que j'attends desormais ou ma
vie ou ma mort. Tout me trahit, Madame, & tout me persecute, Aux
plus grands des malheurs le ciel m'a mis en butte, Et leurs traits
toutesfois me sembleroient bien doux S'ils me laissoient l'honneur
d'estre estimé de vous. Cet espoir tient encor ma fortune en balance,
Luy seul est le secours qui reste en ma deffence, Et comme vostre
coeur est grand & genereux, Je n'oze pas encor me dire malheureux.
PAMPHILIE.
Quel est vostre malheur, & quelle est cette crainte? Desja sans les
sçavoir j'en partage l'atteinte, Et mon amour est tel que vous luy feriez
tort De le croire sujet aux caprices du sort. Vos rares qualitez, vos
voeux, & vostre flame L'ont depuis trop long-temps imprimé dans mon
ame, Et malgré vos soupçons je vous puis asseurer, Qu'il n'est point de
malheur qui le puisse alterer. Mais enfin dictes nous quelle est vostre
infortune?
GENEST.
C'est une passion à mes veux importune, Un zele sans raison, un desir
dereglé, Et le pouvoir enfin d'un esprit aveuglé.
PAMPHILIE.
Un pere asseurement vous veut porter au change? Et que soubs d'autres

loix l'inconstance vous range?
GENEST.
Il le veut, Pamphilie, il le veut: mais apprends Que d'injustes desirs me
sont indifferends, Et qu'avant que mon coeur consente à cette envie,
Mon amour à tes pieds immolera ma vie.
PAMPHILIE.
Je ne souhaitte pas un si funeste effet, Et peut estre son choix est-il
assez parfait Pour porter son esprit à ces douces contraintes Qui causent
vos transports, & peut estre vos feintes.
GENEST.
Ha! de tous les malheurs dont je ressens les coups, Voila le plus
sensible, & plus rude de tous! Quoy? quand tout m'est fatal, lors que
tout m'abandonne, Pamphilie elle mesme aujourd'huy me soupçonne?
Non non, Madame, non, ne me soupçonnez pas, D'avoir voulu trahir
mes voeux, ny vos appas; Ce change malheureux que mon pere
m'ordonne, Regarde nos autels, & non vostre personne; Il ne
m'empesche pas que j'adore vos yeux, Mais il veut pour le sien que je
quitte nos Dieux, Et que suivant l'abus de son erreur extréme, Contre
mes sentimens je le suive au baptéme. Mais plutot que je change ou
d'amour, ou de loy, Plutost que je viole ou mes voeux, ou ma foy, Que
ces puissantes mains qui gouvernent la foudre, D'un rouge traict de feu
me reduisent en poudre. Puissé-je estre des Dieux, & des hommes
l'horreur, De tous les elemens esprouver la fureur, Et si jusqu'à ce point
mon jugement s'oublie, Que je sois à jamais hay de Pamphilie.
ARISTIDE.
Quoy, c'est là le sujet qui te trouble si fort? C'est là l'occasion qui cause
ton transport? Et l'importunité d'une soeur, & d'un Pere, Est le mal qui
t'afflige, & qui te desespere? Tesmoigne, cher Amy, tesmoigne plus de
coeur, Mesprise leurs discours, & brave leur rigueur; C'est dedans les
malheurs, & les plus grands orages, Que se font admirer les plus fermes

courages. Laisse, laisse esclatter ce foudre, & ces esclairs, Dont les
traits impuissans ne frapent que les airs, Les Dieux interessez en ces
vaines menaces, Arresteront bientot le cours de tes disgraces, Et quand
mesme le sort les voudroit achever, Il ne t'abaisseroit que pour te
relever, Que pour rendre dans peu ton ame plus contente, Ta fortune
plus haute, & bien plus esclattante, Et te faire advouer qu'il ne t'est
rigoureux, Que pour te faire un jour plus grand, & plus heureux. Tous
les jours le Soleil sort d'une couche noire, Et la honte est souvent un
chemin à la gloire. Il est vray que chocquant un injuste pouvoir, Tu
peux perdre tes biens, mais non pas ton espoir, Puis que des immortels
la haute providence Peut donner à ta perte une ample recompence, Et te
faire trouver loing d'un pere irrité Les fruicts de ton courage, & de ta
pieté.
GENEST.
Aristide croy moy; le soin de ma fortune, N'est point dans mes
malheurs ce qui plus m'importune, Puis que comme tu dis, je puis
trouver ailleurs, Et de plus doux espoirs, & des destins meilleurs. Mais
comment penses tu que l'amour qui me lie, Me permette jamais de
quitter Pamphilie? Peux tu t'imaginer qu'il soit en mon pouvoir,
L'aymant infiniment de vivre sans la voir? Non, non, loing des attraits
de ses graces divines, Les plus aymables fleurs me seroient des espines,
Je hayrois un trosne, & des sceptres offerts Me plairoient beaucoup
moins que l'honneur de mes fers. Mais si la cruauté d'un pere
inexorable, A moy mesme aujourd'huy me rend mesconnoissable, S'il
faut que je demeure en ce funeste Estat,
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