Lillustre comédien, ou Le martyre de Sainct Genest | Page 5

Nicolas-Marc Desfontaines
esprit sont
d'inutiles armes. Croyez vous pour me voir de parens obsedé: Que par

de vains transports je sois persuadé? Non non, mon Jugement plus
ferme, & plus solide, Ne sçauroit escouter un conseil si perfide, Pour
suivre un inconnu qui fut mis aux liens, Et dans son triste sort
abandonné des siens.
LUCIANE.
Mais cet abandonné que vostre esprit abhorre, Est ce Dieu tout puissant
que le Ciel mesme adore, Qui comble tout de gloire à son auguste
aspect, Et fait trembler là haut les Anges de respect. Il naquit sans
grandeur, sans esclat, & sans lustre; Mais dans l'obscurité son berceau
fut illustre, Puis qu'à peine il parut qu'on redouta ses loix, Et qu'encor
tout enfant il fit trembler des Roys. Si des siecles passez nous croyons
les plus sages, Des Princes d'Orient il reçeut les hommages, Et l'astre
qui guida ces Mages en ce lieu, Fit bien voir que c'estoit la demeure
d'un Dieu. Il vescut, dites vous, ainsi qu'on le raconte, Dedans
l'ignominie, & mourut dans la honte, Abandonné des siens, trahy,
desadvoué, Sur un infame bois honteusement cloué; Mais c'est par ce
moyen si difficile à croire, Qu'il pretend sur sa honte establir vostre
gloire, Et par l'unique prix de son sang precieux Qu'il vous veut acheter
le partage des Cieux.
GENEST.
Que d'un trompeur espoir vostre ame est possedée, S'il n'a pour
fondement que cette vaine idée! Et qu'un bonheur est faux, quand par
un triste effort La honte le produit aussi bien que la mort. Rangez-vous
du party de ces hautes puissances Qui donnent à nos voeux d'illustres
recompences, Qui se font adorer en cent climats divers, Et rendent nos
Cesars Maistres de l'Univers. Nous ne sçaurions faillir en suivant leurs
exemples; Comme dans leurs Palais suivons-les dans les Temples, Et
puis que le destin nous a faits leurs sujets, N'ayons pas en nos voeux de
differents objets. Mais changeons de discours: Anthenor qui s'advance,
Ne prendroit pas plaisir à cette conference: Sans doute que blessé d'un
mesme traict que vous, Il me vient assaillir, & seconder vos coups.

SCENE III.
Anthenor. Genest. Luciane.
ANTHENOR.
Hé bien, s'est-il rendu ce rebelle courage?
LUCIANE.
Aussi peu qu'un Rocher qui battu de l'orage Mesprise les assauts, & de
l'onde & du vent, Et paroit à nos yeux plus ferme que devant.
GENEST.
Cette comparaison n'est pas mal assortie, Mon coeur & le Rocher ont
de la sympathie, Car si l'un par les vents ne se peut esmouvoir, Les
souspirs ont sur l'autre aussi peu de pouvoir.
ANTHENOR.
Ha, mon fils! si ce coeur te permets de connoistre Que celuy qui te
parle est l'autheur de ton estre, Fust-il cent fois plus ferme, & plus dur
qu'un Rocher, Cette obligation a droit de le toucher.
GENEST.
Ouy, je vous dois le jour, je vous dois ma naissance, Et ce corps pour
ce droict vous doit obeissance: Mais l'esprit qui m'anime, & que je tiens
des Cieux Est un noble tribut que je ne dois qu'aux Dieux.
ANTHENOR.
Mais à ce Dieu puissant...
GENEST.
Qui n'est qu'une chimere Qu'autrefois vous blasmiez.

ANTHENOR.
Qu'à present je revere.
GENEST.
Dites plutost un Dieu que vous avez resvé.
ANTHENOR.
Un Dieu par qui tout vit, & tout est conservé, Et qui pour te donner une
immortelle vie Voulut bien qu'icy bas elle luy fust ravie.
GENEST.
Pour moy? je desadvoue un si puissant effort, Et ne tiens pas ma vie un
effet de sa mort.
ANTHENOR.
Horrible impieté! detestable blasphéme!
GENEST.
Mais qu'on peut effacer avec l'eau du Baptéme.
ANTHENOR.
Ouy, mon fils, vien m'y suivre.
GENEST.
Ha! ne me pressez pas.
ANTHENOR.
Quoy d'un si beau sentier tu retires tes pas?
GENEST.

Ouy, je m'en veux tirer comme d'un precipice, Où vous avez dessein
qu'avec vous je perisse.
ANTHENOR.
Mais plutost où je veux te sauver avec moy.
GENEST.
Ayez soing de vous seul, & me laissez.
ANTHENOR.
Pourquoy?
GENEST.
Parce qu'importuné de vos contes frivoles Je me lasse d'ouyr tant de
vaines paroles.
ANTHENOR.
Hé bien, puis que ma voix ne te peut esmouvoir, Cessant de m'escouter,
cesse aussi de me voir: Va, Monstre, je suivray la loy que tu me donnes,
Et t'abandonneray comme tu m'abandonnes.
LUCIANE.
Mon frere!
ANTHENOR.
Laissez-là cet objet odieux Implorer à loisir le secours de ses dieux: Ils
vont en un haut poinct eslever sa fortune, Et vostre affection le choque,
& l'importune.

SCENE IV.

Genest. Pamphilie. Aristide.
GENEST.
Cet orage, Anthenor, touche peu mes esprits, Comme je l'attendois il ne
m'a pas surpris, Et depuis quelque temps j'ay bien pû me resoudre En
ayant veu l'esclair, d'ouyr gronder la foudre. Mais ainsi que l'esclat du
celeste flambeau Qu'on voit apres l'orage & plus clair, & plus beau, Les
divines clartez des yeux de Pamphilie Viennent chasser l'horreur de ma
melancholie, Et par les doux regards
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