Lillustre comédien, ou Le martyre de Sainct Genest | Page 4

Nicolas-Marc Desfontaines

tombeau. Mais sans chercher si loing le secours d'une Histoire Qui nous
pourroit charger l'esprit & la memoire: Nous pouvons rencontrer dans
nostre propre sort, De quoy plaire à Cesar qui nous prisera fort Si par
un trait adroit & de haute industrie, Il sçait que nous aurons quitté
nostre Patrie, Nos parens & nos biens pour venir en ces lieux, Loing de
ses ennemis rendre hommage à ses dieux. Voicy donc quel sera l'ordre
de ce mystere, Il faudra qu'Anthenor represente mon Pere: Et que par
un flatteur, quoy que faux entretien, Il feigne qu'il me veut aussi rendre
Chrestien. Ma soeur qui me portoit à cette loy prophane Avoit, vous le
sçavez, de l'air de Luciane, Qui sçaura je m'asseure en cette occasion,
Imiter son humeur & son affection. Aristide d'ailleurs pour vaincre sa
folie, Se dira parmy nous frere de Pamphilie, Et me conjurera par
l'esclat de ses yeux, De ne la point trahir, aussi bien que nos Dieux.
Voila sur ce sujet tout ce qui vous regarde, Le reste. Mais que veut
Aquillin, & ce Garde?

SCENE V.
Aquillin. Genest. Pamphilie. Luciane. Aristide. Anthenor. Un Garde
tenant des presens.
AQUILLIN.

Le Ciel vous ayme Amis, la fortune vous rit, Le peuple vous admire, &
Cesar vous cherit, Ce que je vous apporte en sont de bonnes marques,
Recevez ces presens du plus grand des Monarques, Et croyez toutesfois
que ces rares bienfaits Ne sont de ses bontez que les moindres effets.
GENEST.
Ces magnifiques dons d'une illustre personne, Marquent la dignité de la
main qui les donne, Et nous n'ignorons pas qu'il est en son pouvoir De
porter ses bienfaits plus loing que nostre espoir, Mais de tant de faveurs
dont Cesar nous accable, Sa presence nous est la plus considerable, Et
le soing de luy plaire en ma profession, Borne tous mes desirs & mon
ambition.
PAMPHILIE.
Il n'en est point icy qui ne parle de mesme, Envers sa Majesté nostre
zele est extréme, Et tous esgalement nous nous sentons ravir: À
l'inclination qu'il a de le servir.
AQUILLIN.
Tant de civilitez veulent que je confesse, Que nostre cour n'a pas toute
la politesse, Puis qu'on la void en vous en un point si parfait, Que
quiconque vous parle en admire l'effect.
ARISTIDE.
Ha! Seigneur, il suffit de vostre bien-veillance, Sans que vous
confondiez avec vostre esloquence, Ceux que tant de faveurs & de
bienfaits receûs, De Cesar & de vous rendent assez confus.
LUCIANE.
Ouy Seigneur...
AQUILLIN.
Brisons là: mes yeux & mes oreilles, Charmez d'ouir & voir tant de

rares merveilles, Font qu'insensiblement m'arrestant en ces lieux, Je
vous derobe un temps qui vous est precieux. L'Empereur vous attend.
ANTHENOR.
Rien plus ne nous arreste.
GENEST.
Vous pouvez l'asseurer que nostre bande est preste, Et que nous
n'attendons que son commandement, Pour luy donner icy du
divertissement.
Fin du premier Acte.

ACTE SECOND.
SCENE PREMIERE.
Diocletian. Aquillin. Rutile. & suitte.
DIOCLETIAN.
Rutile, nous verrons si cette haute estime, Où tu mets nos acteurs est
juste & legitime, Et si ces grands esprits que tu tiens si parfaits,
Produiront sur le mien de semblables effets. Si l'on croit tes discours,
ma cour n'a point de grace, Que la leur aisement ne surmonte, &
n'efface, Et mesme l'on diroit que les perfections, Naissent de leur
parole, & de leurs actions.
AQUILLIN.
Quelque approbation que Rutile leur donne, Son sentiment est juste &
n'a rien qui m'estonne: Bien que quelques brutaux ayent leur art à
mespris, Il n'admet point pourtant de vulgaires esprits, De corps mal
composez, & de qui l'apparence, Ne puisse au moins donner quelque
belle esperance. Le Theatre est severe, & veut des qualitez, Qui

puissent faire aux grands admirer ses beautez: Le charme de la voix est
sa moindre partie, Si de l'intelligence elle n'est assortie, Et le geste pour
elle est un foible secours, Si ce rayon divin ne regle ses discours, Outre
le jugement, l'adresse, & la memoire, L'asseurance est aussi necessaire
à sa gloire, Et la propreté mesme en son habillement, N'est point pour
un acteur un petit ornement.
DIOCLETIAN.
Hé bien nous en verrons bien tost l'experience: Faites les commencer,
& qu'on preste silence.

SCENE II.
Luciane. Genest.
LUCIANE.
Ha! mon frere, si rien ne vous peut esmouvoir, Considerez des pleurs.
GENEST.
Qui seront sans pouvoir. Ha! c'est trop, levez vous, c'est en vain
Luciane Que l'on croit me porter à cette loy prophane, Dont un nouveau
Prophete, & trop foible Docteur, Se rendit autresfois le ridicule Autheur,
Je ne me repais point de ces vaines chimeres, Dont il sçeût esblouyr les
esprits des nos peres, Je sçay mieux me servir des droits de ma raison:
Et parmy le nectar discerner le poison.
LUCIANE.
Pleûst au Ciel!
GENEST.
Vos souhaits aussi bien que vos larmes, Pour vaincre mon
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