Lhomme Qui Rit | Page 5

Victor Hugo
instruments de musique. Il poss��dait en outre une peau d'ours dont il se couvrait les jours de grande performance; il appelait cela se mettre en costume. Il disait: _J'ai deux peaux; voici la vraie_. Et il montrait la peau d'ours. La cahute �� roues ��tait �� lui et au loup. Outre sa cahute, sa cornue et son loup, il avait une fl?te et une viole de gambe, et il en jouait agr��ablement. Il fabriquait lui-m��me ses ��lixirs. Il tirait de ses talents de quoi souper quelquefois. Il y avait au plafond de sa cahute un trou par o�� passait le tuyau d'un po��le de fonte contigu �� son coffre, assez pour roussir le bois. Ce po��le avait deux compartiments; Ursus dans l'un faisait cuire de l'alchimie, et dans l'autre des pommes de terre. La nuit, le loup dormait sous la cahute, amicalement encha?n��. Homo avait le poil noir, et Ursus le poil gris; Ursus avait cinquante ans, �� moins qu'il n'en e?t soixante. Son acceptation de la destin��e humaine ��tait telle, qu'il mangeait, on vient de le voir, des pommes de terre, immondice dont on nourrissait alors les pourceaux et les for?ats. Il mangeait cela, indign�� et r��sign��. Il n'��tait pas grand, il ��tait long. Il ��tait ploy�� et m��lancolique. La taille courb��e du vieillard, c'est le tassement de la vie. La nature l'avait fait pour ��tre triste. Il lui ��tait difficile de sourire, et il lui avait toujours ��t�� impossible de pleurer. Il lui manquait cette consolation, les larmes, et ce palliatif, la joie. Un vieux homme est une ruine pensante; Ursus ��tait cette ruine-l��. Une loquacit�� de charlatan, une maigreur de proph��te, une irascibilit�� de mine charg��e, tel ��tait Ursus. Dans sa jeunesse il avait ��t�� philosophe chez un lord.
Cela se passait il y a cent quatrevingts ans, du temps que les hommes ��taient un peu plus des loups qu'ils ne sont aujourd'hui.
Pas beaucoup plus.

II
Homo n'��tait pas le premier loup venu. A son app��tit de n��fles et de pommes, on l'e?t pris pour un loup de prairie, �� son pelage fonc��, on l'e?t pris pour un lycaon, et �� son hurlement att��nu�� en aboiement, on l'e?t pris pour un culpeu; mais on n'a point encore assez observ�� la pupille du culpeu pour ��tre s?r que ce n'est point un renard, et Homo ��tait un vrai loup. Sa longueur ��tait de cinq pieds, ce qui est une belle longueur de loup, m��me en Lithuanie; il ��tait tr��s fort; il avait le regard oblique, ce qui n'��tait pas sa faute; il avait la langue douce, et il en l��chait parfois Ursus; il avait une ��troite brosse de poils courts sur l'��pine dorsale, et il ��tait maigre d'une bonne maigreur de for��t. Avant de conna?tre Ursus et d'avoir une carriole �� tra?ner, il faisait all��grement ses quarante lieues dans une nuit. Ursus, le rencontrant dans un hallier, pr��s d'un ruisseau d'eau vive, l'avait pris en estime en le voyant p��cher des ��crevisses avec sagesse et prudence, et avait salu�� en lui un honn��te et authentique loup Koupara, du genre dit chien crabier.
Ursus pr��f��rait Homo, comme b��te de somme, �� un ane. Faire tirer sa cahute �� un ane lui e?t r��pugn��; il faisait trop cas de l'ane pour cela. En outre, il avait remarqu�� que l'ane, songeur �� quatre pattes peu compris des hommes, a parfois un dressement d'oreilles inqui��tant quand les philosophes disent des sottises. Dans la vie, entre notre pens��e et nous, un ane est un tiers; c'est g��nant. Comme ami, Ursus pr��f��rait Homo �� un chien, estimant que le loup vient de plus loin vers l'amiti��.
C'est pourquoi Homo suffisait �� Ursus. Homo ��tait pour Ursus plus qu'un compagnon, c'��tait un analogue. Ursus lui tapait ses flancs creux en disant: _J'ai trouv�� mon tome second_.
Il disait encore: Quand je serai mort, qui voudra me conna?tre n'aura qu'�� ��tudier Homo. Je le laisserai apr��s moi pour copie conforme.
La loi anglaise, peu tendre aux b��tes des bois, e?t pu chercher querelle �� ce loup et le chicaner sur sa hardiesse d'aller famili��rement dans les villes; mais Homo profitait de l'immunit�� accord��e par un statut d'Edouard IV aux ?domestiques?.--_Pourra tout domestique suivant son ma?tre aller et venir librement._--En outre, un certain relachement �� l'endroit des loups ��tait r��sult�� de la mode des femmes de la cour, sous les derniers Stuarts, d'avoir, en guise de chiens, de petits loups-corsacs, dits adives, gros comme des chats, qu'elles faisaient venir d'Asie �� grands frais.
Ursus avait communiqu�� �� Homo une partie de ses talents, se tenir debout, d��layer sa col��re en mauvaise humeur, bougonner au lieu de hurler, etc.; et de son c?t�� le loup avait enseign�� �� l'homme ce qu'il savait, se passer de toit, se passer de pain, se passer de feu, pr��f��rer la faim dans un bois �� l'esclavage dans un palais.
La cahute,
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