Lhôtel hanté | Page 8

Wilkie Collins
encore satisfaite. Dans ses moments
de loisir, il pensait à la famille de lord Montbarry et se demandait si elle réussirait en
définitive à empêcher le mariage. Chaque jour il se prenait à désirer connaître le
malheureux à qui on avait ainsi tourné la tête. Chaque jour, durant le court espace de
temps qui devait s'écouler avant le mariage, Il se rendit au cercle pour tâcher d'apprendre
quelques nouvelles. Rien ne s'était passé, c'est tout ce que l'on savait au cercle. La
position de la comtesse était toujours inébranlable: lord Montbarry voulait plus que
jamais épouser cette femme. Tous deux étaient catholiques, le mariage devait être célébré
à la chapelle de la place d'Espagne. Voilà tout ce que le docteur apprit de nouveau.
Le jour de la cérémonie, après avoir lutté quelques instants avec lui-même, il se décida à
sacrifier pour un jour ses malades et leurs guinées, et se dirigea, sans en rien dire vers la
chapelle. Sur la fin de sa vie, il entrait en colère quand quelqu'un lui rappelait sa conduite
ce jour-là!
Le mariage fut, pour ainsi dire, secret. Une voiture fermée attendait à la porte de l'église;
quelques personnes appartenant pour la plupart à la basse classe, et presque toutes de
vieilles femmes, étaient éparpillées dans l'intérieur de l'église. Le docteur aperçut
cependant quelques rares visages de quelques-uns des membres du cercle, attirés comme
lui par la curiosité. Quatre personnes seulement étaient devant l'autel: la mariée, le marié
et leurs deux témoins. Un de ces derniers était une vieille femme, qui pouvait passer pour
la camériste ou la dame de compagnie de la comtesse; l'autre était sans aucun doute son
frère, le baron Rivar. Toutes les personnes faisant partie de la noce, la mariée elle-même,
portaient leurs costumes habituels du matin. Lord Montbarry était un homme d'âge
moyen, au type militaire, n'ayant rien de remarquable ni dans la démarche, ni dans la
physionomie. Le baron Rivar, lui, était la personnification d'un autre type bien connu. On
rencontre à Paris presque à chaque pas, sur les boulevards, ces moustaches cirées en
pointes, ces yeux hardis, ces cheveux noirs frisés et épais, en un mot cette tête portée
arrogamment; il ne ressemblait en rien à sa soeur.
Le prêtre qui officiait était un pauvre bon vieillard remplissant les devoirs de son
ministère avec une sorte de résignation et ressentant des douleurs rhumatismales chaque
fois qu'il était obligé de s'agenouiller.
La personne sur qui aurait dû se concentrer toute la curiosité des assistants, la comtesse,
souleva son voile au commencement de la cérémonie; mais sa robe, d'une extrême
simplicité, n'appelait pas longtemps les regards. Jamais mariage ne fut moins intéressant
et plus bourgeois que celui-là. De temps en temps le docteur jetait un coup d'oeil vers la
porte, comme s'il attendait la subite intervention de quelqu'un qui viendrait révéler un
terrible secret et s'opposer à la continuation de la cérémonie. Rien de semblable n'arriva,
rien d'extraordinaire, rien de dramatique.
Étroitement liés l'un à l'autre par un éternel serment, les deux époux disparurent suivis de
leurs témoins, pour aller signer sur le registre à la sacristie; cependant le docteur attendait
toujours et continuait à nourrir l'espoir obstiné qu'un événement inattendu et important
devait certainement arriver.
Mais le temps passa et le couple uni rentra dans l'église, se dirigeant cette fois vers la
porte.
Le docteur, afin de n'être pas vu, essaya de se cacher; à sa grande surprise, la comtesse
l'aperçut. Il l'entendit dire à son mari:
«Un moment, je vous prie, je vois un ami,»

Lord Montbarry s'inclina et attendit. Elle s'avança alors vers le docteur, lui prit la main et
la serra convulsivement. Ses grands yeux noirs, pleins d'éclat, brillaient à travers son
voile.
«Un pas de plus, vous voyez, vers le commencement de la fin!» lui dit-elle; puis elle
retourna auprès de son mari.
Avant que le docteur ait pu se remettre et la suivre, lord et lady Montbarry étaient dans
leur voiture et les chevaux marchaient déjà.
À la porte de l'église étaient trois ou quatre membres du cercle qui, comme le docteur
Wybrow, n'avaient assisté à la cérémonie que par curiosité. Près d'eux se tenait le frère de
la mariée, attendant seul. Son intention évidente était de voir l'homme à qui sa soeur avait
parlé. Son regard insolent fixait le docteur d'un air étonné, mais cela ne dura qu'un instant;
le regard s'éclaircit soudain et le baron souriant avec une courtoisie charmante, salua
l'ami de sa soeur et s'en alla.
Les membres du cercle formèrent un petit groupe sur les marches de l'église et
commencèrent à causer: du baron d'abord.
«Quel coquin de mauvaise mine!»
Ils passèrent à Montbarry.
«Est-ce qu'il va emmener cette horrible femme avec lui en Irlande? Certainement non! Il
n'ose plus regarder en face ses fermiers, ils savent tous l'histoire d'Agnès
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