Lockwood.
--Eh bien, où ira-t-il?
--En Écosse.
--Aimera-t-elle ce pays-là?
--Oh! Pour une quinzaine seulement; ils reviendront ensuite à Londres et partiront à
l'étranger.
--Parions qu'ils ne reviendront jamais en Angleterre:
--Qui sait?
--Avez-vous vu comme elle a regardé Montbarry au commencement de la cérémonie
quand elle a été obligée de soulever son_ _voile? À sa place je me serais sauvé.
L'avez-vous vu, docteur?»
Mais le docteur se souvenait maintenant de ses malades, et il en avait assez de tous ces
bavardages. Il suivit donc l'exemple du baron Rivar et s'en alla.
--Un pas de plus, vous voyez, vers le commencement de la fin, se répétait-il à lui-même
en rentrant chez lui. Quelle fin?
IV
Le jour du mariage, Agnès Lockwood était assise seule dans le petit salon de son
appartement de Londres, brûlant les lettres qui lui avaient été écrites autrefois par
Montbarry.
Dans le portrait si minutieux que la comtesse avait tracé d'elle au docteur Wybrow, elle
avait passé sous silence un des charmes les plus grands d'Agnès: l'expression de bonté et
de pureté de ses yeux, qui frappait tous ceux qui l'approchaient. Elle semblait beaucoup
plus jeune qu'elle n'était réellement. Avec son teint clair et ses manières timides, on était
tenté de parler d'elle comme d'une petite fille, bien qu'elle approchât de la trentaine. Elle
vivait seule avec une vieille nourrice qui lui était toute dévouée, d'un modeste revenu,
suffisant à peine à leur entretien à toutes deux. Pendant qu'elle déchirait lentement les
lettres du parjure, qu'elle jetait ensuite au feu, son visage ne montrait aucun signe de
douleur. C'était une de ces natures qui souffrent trop profondément pour trouver un
soulagement dans les larmes. Pâle et tranquille, en apparence, les mains froides et
tremblantes, elle anéantit toutes les lettres une à une sans oser les relire. Elle venait de
déchirer la dernière et se demandait s'il fallait la jeter au feu comme les autres, quand la
vieille nourrice entra lui demander si elle voulait recevoir M. Henry; elle nommait ainsi
le plus jeune frère de la famille Westwick, qui avait si publiquement déclaré, dans le
fumoir du cercle, son mépris pour son frère aîné.
Agnès hésitait. Une légère rougeur colora son visage.
C'est qu'il y avait eu un temps, bien éloigné maintenant, où Henry Westwick avait dit
qu'il l'aimait. Elle lui avait fait sa confession bien sincère, lui avait dit que son coeur
appartenait à son frère aîné, et Henry s'était soumis. Depuis, ils avaient été de véritables
amis, des parents dévoués l'un à l'autre; depuis, chaque fois qu'ils s'étaient rencontrés, la
situation n'avait jamais été embarrassante pour eux.
Mais aujourd'hui, le jour du mariage de son frère avec une autre femme, le jour où la
trahison était consommée, elle éprouvait une certaine répulsion à le revoir. Son hésitation
n'échappa pas à la vieille nourrice qui, se souvenant de les avoir vus tous deux au berceau
et se sentant, bien entendu, plus de sympathie pour l'homme, dit timidement un mot en
faveur d'Henry.
«Il parait qu'il va partir, ma chérie; il veut seulement vous donner la main et vous dire
adieu.»
Cette simple explication fit son effet. Agnès se décida à recevoir son cousin.
Il entra si vite dans la chambre, qu'il la surprit, jetant dans les flammes les morceaux de la
dernière lettre de Montbarry. Elle se mit aussitôt à parler la première, pour dissimuler son
embarras.
«Tous quittez Londres bien soudainement, Henry. Est-ce pour affaires ou pour votre
plaisir?»
Au lieu de répondre, il montra de la main les lettres qui flambaient encore et les cendres
noircies de papier brûlé qui formaient un léger amas autour du foyer.
«Vous brûlez des lettres?
--Oui.
-Ses lettres?
--Oui».
Il lui prit doucement la main.
«Je ne me doutais pas que je vous importunais ainsi, à un moment où vous désiriez sans
doute être seule. Pardonnez-moi, Agnès, je vous verrai à mon retour.»
Elle sourit tristement et lui fit signe de s'asseoir.
«Nous nous connaissons depuis notre enfance, dit-elle. Pourquoi aurais-je des secrets
pour vous? J'ai renvoyé à votre frère, depuis quelque temps déjà, tous les cadeaux qu'il
m'avait faits. J'ai voulu faire plus encore et ne rien garder qui pût me rappeler son
souvenir. J'ai tenu à brûler ses lettres. J'ai suivi mon inspiration; mais j'avoue que
j'hésitais un peu à détruire la dernière. Non pas parce que c'était la dernière, mais parce
qu'elle contenait ceci. Elle ouvrit sa main, et lui fit voir une mèche des cheveux de
Montbarry attachée par une petite tresse d'or. Allons! qu'elle disparaisse comme le reste!»
Elle la laissa tomber dans le feu. Pendant un moment, elle resta le dos tourné à Henry,
appuyée sur le marbre de la cheminée et regardant les flammes. Henry prit la chaise
qu'elle lui avait désignée; son visage exprimait deux sentiments bien contraires: son front
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