Lettres de Marie Bashkirtseff | Page 7

Marie Bashkirtseff
rien de sinistre. Tout va admirablement bien, excepté le caractère de mon auguste mère, qui se fache du matin au soir et économise tellement que c'est terrible. Mon auguste mère a proposé de ne pas déjeuner, figurez-vous cela, ne pas déjeuner! C'est atroce, mais je suis bonne enfant, je ne me fache pas et la proposition n'est restée qu'une proposition.
L'univers entier est à Paris. Depuis la reine d'Espagne jusqu'à A.
Nous avons visité plusieurs h?tels, il y en a un aux Champs-élysées, tout à fait à part avec un petit jardin, écuries et remises, trois chambres de domestiques, huit chambres à coucher, trois salons, salle à manger, jardin d'hiver, sous-sols, cuisine, salle de bains, office, etc., etc. Ce n'est pas une énorme maison et si on l'achetait il faudrait ajouter deux ou trois pièces. Ce n'est qu'à Paris qu'on peut vivre, partout ailleurs on végète, on ne vit pas. Quand je pense que nous demeurons à Nice, j'ai envie de me casser la tête. Et dire que nous avons acheté à Nice!!! Quelle horreur! Je sais qu'on fera de l'esprit sur ce que je dis, mais je m'en moque. Je dis ce que je dis et je sais ce que je sais. Vivre ailleurs qu'ici, c'est perdre son temps, son argent, sa figure, sa santé, tout enfin. Tout homme sensé et qui n'est pas mort vous dira que j'ai raison.
Comment va la santé de papa, embrassez-le. Je me propose de gagner 200,000 roubles et alors je vous montrerai d'où je suis sortie!!!
De la mère Angot je suis la fille,
etc., etc. Quand je pense, qu'on vend en Russie pour acheter à Nice! Mais c'est de la folie...
Enfin puisque l'affaire est commencée, terminez-la, payez à Nice et puis on tachera de vendre, si l'on trouve un acquéreur. Je vous prie de ne pas acheter de meubles, car nous en commanderons ici; ce n'est pas la peine de dépenser de l'argent pour cette baraque Ni?oise.
Je vous embrasse beaucoup de fois. Faites tondre et laver Prater.
P. S.--Voici ma photographie en Mignon pour les tableaux vivants.

à la même.
éP?TRE à MA TANTE POUR OBTENIR DE L'ARGENT.
La plus grande des trois Graces Se trouve dans cent disgraces! Si, comme c'est probable, Votre ame charitable De grandes choses capable Entend ma voix lamentable, Elle soulagera ma peine. Et soyez bien certaine, Que lorsque reine je serai, Jusqu'au dernier franc vous rendrai Avec de beaux intérêts. Mon ame poétique Et mon coeur magnifique Se dessèchent comme pastel Dans ce petit h?tel. Tous les soirs vers six heures, Pour me bien réjouir Dans ce Bois plein de fleurs Il me faut sortir. Il me faut pour cela Voiture et toilette: Comment le puis-je, hélas! Quand est vide la cassette. Lorsque reine je serai, Tout, tout vous rendrai, Mais, en attendant, Envoyez-moi l'argent.

à la même. Paris.
Il pleuvait ce matin.
Ah! ma tante, si vous pouviez m'envoyer un peu du vil métal.
En vérité, je ne comprends pas comment il y a des gens qui, pouvant vivre à Paris, s'en vont moisir à Nice!
Si vous saviez comme Paris est beau! Chez Laferrière, Caroline est allée aux eaux, la grande mince la remplace et pas mal; au moins avec celle-là je fais ce que je veux.
Ah! ma tante, envoyez-moi donc de l'argent.
Ce soir, nous irons sans doute à l'Opéra.
Ah! ma tante, envoyez-moi donc de l'argent.
Car je suis dans la gêne, Que mon coeur, que mon coeur . . . . . . . a de peine...
Ne pas aller tous les jours au Bois, c'est mourir d'ennui: vous savez bien que je déteste courir les boulevards et les boutiques. Mon seul plaisir est d'aller respirer l'air pur de la campagne, de humer les douces émanations du Bois, d'admirer la nature... des voitures et des toilettes.
Ah! ma tante, envoyez-moi donc de l'argent!
Car je suis dans la gêne, Que mon coeur, que mon coeur . . . . . . . a de peine...
Que Dieu vous garde, mes amis.
Nous, par la grace de Dieu,
Marie.

à sa mère. Florence.
Chère maman,
Nous descendons à l'h?tel de France. Ah! je suis habituée à voyager... je ne fais que cela depuis quelque temps. Je suis gaie et bien portante. Ce qui est vilain, c'est que nous ne connaissons pas une ame, moi et ma tante, deux femmes seules, enfin résignons-nous!
Quelle vie, quelle animation! des chants, des cris partout. Je me sens bien ici. Nous sommes comme dans une forêt sauvage, comme le Dante _una selva reggia_, je ne sais où l'on va, quelle fête il y a, rien, rien, rien! Mais, comme a dit un poète russe: notre bonheur est dans notre misérable ignorance. C'est vrai, je ne sais rien ici et je suis à peu près tranquille. J'en voudrai beaucoup à la personne qui me tirera de _cette misérable ignorance_: qui me dira, il y a bal là, fête ici; j'en voudrais être et
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 50
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.