à la villa Médicis, de
ses excursions en Italie, des monuments et des paysages. Il me parlait
moins de ses études au Conservatoire. Il m'avait appris, pourtant, qu'il
avait eu une grande affection pour son maître Halévy, mais ses
sentiments à l'égard d'Auber étaient entièrement différents. Il avait pour
lui de l'éloignement. Cela se comprend quant à ce qui est du musicien.
En ce qui concerne les actes de l'administrateur, du directeur du
Conservatoire, il les blâmait fortement. C'est tout ce que je puis dire,
mes souvenirs étant devenus trop vagues pour me permettre d'entrer
dans des détails. Enfin, il avait de l'éloignement pour lui, et n'était
même pas fâché, à l'occasion, de lui lancer quelque pointe sans en avoir
l'air. Après un des premiers ouvrages de Bizet, Auber avait fait
représenter une de ses dernières oeuvres à lui qui étaient très faibles. Je
ne me rappelle plus bien les titres. Les Pêcheurs de Perles ont été joués
le 30 septembre 1863, la Fiancée du Roi de Garbe, d'Auber, le 11
janvier 1864. La Jolie Fille de Perth est du 26 décembre 1867, le
Premier Jour de Bonheur, du 15 février 1868. Je crois que ce serait
plutôt à ce moment que l'histoire s'est passée. Bizet me raconta qu'il
avait rencontré Auber, qu'on s'était arrêté, et qu'Auber, avec un accent
qui dénotait que ce n'était qu'une formule banale, lui avait adressé ces
paroles: «Eh bien, j'ai entendu votre ouvrage. C'est bien, c'est très
bien.» Bizet alors avait riposté: «J'accepte vos éloges, mais je ne vous
en rends pas.» Jeu de physionomie d'Auber, et Bizet, tout de suite: «Un
simple soldat peut recevoir les éloges d'un maréchal de France; il ne lui
en adresse pas.»
De Félicien David, pour lequel il avait beaucoup de sympathie, il
appréciait le Désert. «David, disait-il à peu près, est un miroir qui
reflète admirablement l'Orient. Il y est allé; ce qu'il a vu l'a fortement
impressionné, et il le rend très bien. Ce qu'il fait ordinairement est
faible; mais que, dans un texte, il soit question de l'Orient, qu'on y
mette les mots: palmiers, minarets, chameaux, etc., alors il fait de belles
choses.»
Dans l'oeuvre de Gounod, il admirait surtout les premiers ouvrages,
Sapho, Ulysse, etc., qu'il trouvait, avec sans doute des signes de
jeunesse, pleins, c'est son expression, «de verdeur, de sève».
C'est lui qui m'a révélé au piano Berlioz et Wagner. Il me joua d'abord
des fragments de Tannhaüser et de Lohengrin. Ces partitions avec celle
du Vaisseau Fantôme, étaient alors, je crois, les seules traduites en
français. Dans la lettre d'avril 1869 où il me rendait compte de la
répétition générale de Rienzi au théâtre-lyrique, il ne jugeait pas le style
de Wagner considéré dans l'ensemble de ses productions, mais dans
Rienzi seulement.
Il ne m'a rien communiqué de son opéra d'Iwan le Terrible, et je ne sais
pas si, en l'écrivant, comme le croit M. Pigot dont le livre sur lui est très
documenté, il s'était inspiré de Verdi. Puisqu'il l'a, pense-t-on, brûlé
plus tard, il y a là, une preuve que, s'il avait un moment subi son
influence, il s'en était bien affranchi. On lira la lettre de mars 1867 où il
me parle de son éclectisme au sujet de son opinion défavorable à Don
Carlos. Tandis qu'il était impitoyable pour la grossièreté et pour le laid,
pour ce qu'il appelait «des ordures», il tenait, je le répète, à prendre le
beau partout où il le rencontrait. Dans Rigoletto, il prisait le quatrième
acte qu'il m'avait exécuté au piano avec aussi la scène de Rigoletto et
de Sparafucile, le spadassin' au deuxième acte, scène qu'il distinguait
pour sa couleur et la justesse de l'accent.
On a publié la correspondance de Bizet avec M. Paul Lacombe[2]. J'ai
déjà indiqué combien il était satisfait lorsqu'il découvrait un morceau
ayant de la valeur et quel zèle il mettait à le signaler. Un jour, il y avait
sur son piano quand j'entrai chez lui à Paris, rue Fontaine, plusieurs
exemplaires de la Sonate en la mineur pour piano et violon de M. Paul
Lacombe. Il m'en donna un. Cette sonate, qui venait de paraître, lui
était dédiée. Il m'expliqua que l'auteur, alors un inconnu, habitait
Carcassonne d'où il lui avait écrit. Puis Bizet s'assit devant son piano,
me joua la sonate d'un bout à l'autre en fredonnant la partie de violon,
et je partageai d'emblée son enthousiasme, enthousiasme qu'elle
provoqua chaque fois qu'il la rejoua devant moi dans la suite pour la
faire entendre à d'autres amis.
[Note 2: Hugues Imbert, Portraits et Études, suivies de Lettres inédites
de Bizet. Paris. Fischbacher, 1894.]
Lorsqu'il était à Rome, il avait écrit à Marmontel qu'il avait le projet de
composer pour son envoi de deuxième année la musique de La
Esméralda de Victor Hugo[3]. Mais il changea d'idée,
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