Lettre à lEmpereur Alexandre sur la traite des noirs | Page 8

William Wilberforce
reproche aux abolitionnistes
de n'avoir pas mis a profit cette indignation excitee dans la nation
britannique, lorsque parut, pour la premiere fois, dans toute son horreur,
le tableau des crimes de la Traite. "La Traite, dit-on, eut ete tout d'un
coup supprimee d'enthousiasme et par acclamation. Dans un pays qui
serait constitue comme les republiques anciennes, et dans les quel la
manifestation de l'opinion publique serait suffisante pour mettre fin aux
maux les plus inveteres, point de doute que la Traite n'eut ete
immediatement abolie."
Ceux qui font ce reproche aux abolitionnistes me paraissent dans une
ignorance complete de la constitution anglaise. Ils ignorent que ce qui
distingue cette constitution de toutes les autres, ce qui la distingue
surtout des republiques celebres de l'antiquite, c'est le soin minutieux
avec lequel, pour le bien general, elle protege les droits et les proprietes
des particuliers. Les abolitionnistes ne savaient que trop les difficultes
et les obstacles jaloux que, d'apres ce principe, leur opposeraient les
formes parlementaires. Ils savaient les enquetes scrupuleuses qui
devaient avoir lieu, les moyens nombreux mis a la disposition des
parties interessees dans chacun des resultats de cette grande mesure, la
facilite qu'avaient ces derniers de recuser les preuves et d'infirmer les
temoignages de leurs adversaires, le champ immense qui leur etait
ouvert pour preparer tous leurs moyens de defense. Ils n'ignoraient pas

les nombreux degres par lesquels devait passer le Bill d'Abolition. Dans
la seule Chambre des Communes, ces degres etaient indispensablement
au nombre de sept ou huit, et pouvaient etre beaucoup plus nombreux
encore. Les memes lenteurs, les memes obstacles se presentaient a la
Chambre des Pairs. A chacun de ces delais nouveaux, nos adversaires
pouvaient preparer de nouvelles batteries, mettre toute leur artillerie en
campagne et, meme avec la certitude de succomber, prolonger
long-temps encore la bataille. C'est surtout alors que ces lenteurs et ces
delais, devaient etre deplores. Ils retardaient la destruction du fleau
dont nous voulions delivrer le monde. Toutefois, gardons-nous
d'accuser les institutions. Les choses humaines sont melees de bien et
de mal. La question que nous agitions alors, sortait du cercle des
questions ordinaires: les lois humaines n'avaient pu la prevoir. Lorsque,
pour la premiere fois, des lois furent faites pour garantir les proprietes,
qui eut pu prevoir qu'un jour viendrait que des hommes seraient la
propriete d'autres hommes qui les vendraient et les exporteraient
comme une marchandise?
Helas! aujourd'hui encore, des difficultes de la meme nature se
presentent. Comme sujets d'etats independans, les negriers reclament,
en leur faveur, le benefice de ces principes que les nations civilisees ont
etablis d'un commun accord, pour la securite des droits maritimes et des
independances nationales. Les negriers demandent qu'on les exempte
du droit de visite par d'autres vaisseaux que par ceux de leurs nations
respectives. Ils veulent que, temoins de leurs infames brigandages, les
vaisseaux d'une puissance etrangere, ne puissent les reprimer. Ainsi les
institutions sociales sont tournees contre les interets meme qu'elles
devaient proteger! Le mal nait de ce qui ne devait produire que le bien!
Ainsi ces principes bienfaisans qu'avait etablis la politique des nations
pour garantir de toute atteinte la personne et la propriete des individus
engages dans un commerce legal, on les fait servir a assurer l'impunite
et a empecher la repression du brigandage et de l'assassinat!
Nos adversaires mirent a profit tous leurs avantages dans la resistance
qu'ils firent a la premiere attaque des abolitionnistes. Ils se
retrancherent derriere les formes parlementaires, et, bien que le fleau
que nous attaquions fut, tout ensemble, l'ennemi de Dieu et des
hommes, il etait de toute impossibilite de terminer la guerre en une
seule campagne. Certes, ces delais ne sauraient jeter aucune defaveur

sur les abolitionnistes ou sur le caractere de la nation britannique,
surtout si l'on reflechit que la vraie nature de la Traite venait d'etre
assignee depuis si peu de temps, et si l'on songe aux forces imposantes
qui etaient dirigees contre nous. Nous savions trop combien l'interet est
habile a pervertir et a aveugler le jugement de l'homme, et ce n'etait pas
un interet meprisable que celui dont l'existence allait etre mise en
question.
Faites entrer en ligne de compte la valeur des marchandises expediees
annuellement en Afrique pour l'achat des esclaves, la valeur des navires
employes a les transporter, celle de leurs fournimens, etc... Qu'on
n'oublie pas que le produit du commerce avec l'Afrique etait devenu
Immense. Il ne s'agissait pas moins que _d'un million de livres
Sterlings_ dont on predisait la perte infaillible. La seconde ville
commerciale de la Grande-Bretagne[2] allait voir, disait-on, son
commerce aneanti, si l'abolition etait proclamee. Les colons criaient
d'une voix unanime, leurs facteurs et leurs agens accredites en
Angleterre repetaient apres eux, que c'en etait fait des colonies des
Indes Occidentales, que l'abolition de la Traite allait infailliblement
consommer leur destruction. La plus grande
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