Lettre à lEmpereur Alexandre sur la traite des noirs | Page 3

William Wilberforce
et les faits viennent, en foule, confirmer ces donnees
fondees sur la connaissance de la nature humaine, il a ete etabli, par
d'irrecusables temoignages, que ce detestable commerce a fonde ses
principales ressources dans les guerres ou excitees par les Europeens,
ou entreprises par les naturels du pays, a l'effet de faire des esclaves.
Ces guerres ne manquent pas d'enfanter des represailles. De la
d'interminables dissentions; de la un esprit d'hostilite et de vengeance,
transmis entre les chefs, de generation en generation. En outre, il est
prouve que les esclaves qu'on se procure sont le resultat de
depredations executees par les petits souverains contre leurs propres

sujets, lorsqu'ils sont trop faibles ou trop laches pour attaquer leurs
voisins: quelquefois ils saisissent indifferemment les premiers venus,
qu'ils reduisent en esclavage; d'autrefois, on met, pendant la nuit, le feu
a un village, et lorsque les habitans effrayes et a demi nuds s'arrachent
de leurs toits embrases, c'est alors qu'on les saisit et qu'on leur donne
des fers.
La Traite est entretenue par des depredations et des brigandages de
toute espece, depuis la troupe plus ou moins nombreuse qui attaque un
village sans defense, ou une famille desarmee, jusqu'a l'individu qui se
cache dans quelqu'endroit ecarte, pour attendre, comme un tigre fait sa
proie, une femme ou un enfant que le hasard aura conduit vers lui et
dont il fera son esclave. Ce qui alimente surtout la Traite, c'est le
Panyar. Cet acte devenu si frequent, qu'on a ete oblige de le designer
par un nom special, consiste a enlever des Noirs de toute tribu, de tout
rang, de toute profession, de tout sexe et de tout age, sans aucune
distinction. Ces actes abominables sont, pour l'ordinaire, executes par
les marchands noirs qui voyagent dans l'interieur de l'Afrique pour le
service des Europeens; quelquefois par les capitaines et matelots
europeens eux-memes. L'arrivee d'un navire negrier sur la cote, est le
signal immediat de toute espece de fraude et de rapine. Ainsi, ce n'est
pas seulement de tribu a tribu, de village a village que regnent la
mefiance et la terreur. Il n'arrive que trop souvent que, dans un acces
d'emportement, de colere ou de jalousie, un mari vend sa femme, un
pere ses enfans, un maitre ses domestiques; c'est vainement qu'ils font
ensuite des voeux pour recouvrer ces etres cheris.
Enfin, la Traite trouve aussi une ressource abondante dans la corruption
de la justice penale, l'esclavage etant la punition de presque tous les
delits, et meme des fautes les plus legeres. Plus souvent c'est la punition
de crimes imaginaires, tels que la magie, l'accusation de magie servant
de pretexte ordinaire pour reduire un homme en esclavage, et,
quelquefois meme, pour faire partager le meme sort a toute sa famille.
Il est aise de concevoir la condition deplorable a laquelle tant
d'atrocites ont du, necessairement, reduire tous les pays de l'Afrique qui
bordent l'ocean. Le manque absolu de toute securite individuelle, de
toute confiance mutuelle, de tout bonheur domestique; le
developpement des passions les plus viles du coeur humain, la
mechancete, la fourberie, la cruaute, la haine, la vengeance, en ont ete

les resultats naturels. Ce n'est pas tout. Il est prouve, d'une maniere
incontestable, que les institutions religieuses et civiles de l'Afrique ont
ete graduellement perverties et faconnees a l'usage de la Traite, de
maniere a fournir incessamment de victimes humaines les marches
d'esclaves. Les superstitions du pays, qui avaient souvent cede a la
faible lumiere du mahometisme, loin d'etre discreditees et combattues
par les marchands negriers d'Europe, ont ete entretenues avec soin, et
ont fourni une source abondante a la Traite. L'administration de la
justice a eprouve les memes atteintes et a subi la meme influence. Les
historiens nous apprennent que les lois criminelles de l'Afrique etaient
extremement douces; mais, insensiblement, tous les delits, memes les
plus legers, ont ete punis de l'esclavage: le juge a sa part de la vente du
condamne: le creancier, faute de payement a le droit de vendre comme
esclave son debiteur: s'il ne peut s'emparer de sa personne, il vend l'un
de ses parens; a defaut de parens, il s'empare d'un habitant de la meme
ville, ou de la meme nation que son debiteur, et le vend comme esclave.
En outre, les capitaines des navires negriers confient des marchandises
a des facteurs Noirs qui les transportent dans l'interieur des terres, et
qui doivent revenir avec un nombre determine d'esclaves. Cependant ils
ont soin de se faire remettre par le facteur, plusieurs de ses enfans, ou
d'autres membres de sa famille, qui doivent repondre pour la valeur des
marchandises confiees. Cela s'appelle des gages, en langue africaine
Pawns. Alors les facteurs commencent leur tournee, pour executer les
termes du contrat. Mais il arrive souvent qu'ils sont frustres dans leur
attente, et que le pays sur lequel ils comptaient pour
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