Lettre à lEmpereur Alexandre sur la traite des noirs | Page 2

William Wilberforce
yeux sur les tentatives criminelles faites, a cet egard,
pour la premiere fois, par leurs sujets respectifs. Aujourd'hui, surtout,
que l'horreur et les cruautes de ce commerce ont ete denoncees au
monde, pouvait-on s'attendre a y voir tremper une nation justement
orgueilleuse de la generosite qui fait le signe distinctif de son caractere
national?
Quelque penible que soit cette assertion, elle n'est, malheureusement,
que trop fondee. Nos regards vont encore etre affliges et nos coeurs

contristes, de nouveau, par le spectacle des fraudes et des barbaries
dont nous croyions avoir vu, pour jamais l'humanite affranchie.
Il n'est pas necessaire de mettre, de nouveau, sous les yeux de Votre
Majeste, le detail de toutes les horreurs comprises dans ce seul mot de
Traite des Noirs. Plut a Dieu que je pusse epargner a Votre Majeste la
repetition penible de ces horribles recits! Sans doute, ces details, une
fois imprimes dans la memoire de l'homme sensible, ne peuvent plus
s'en effacer; et ai je ne considerais ici que ce qui a rapport a Votre
Majeste, je me contenterais De lui dire que toutes les anciennes
abominations dont elle a deja eu connaissance, n'ont subi aucune
diminution, et, tout au contraire, se reproduisent avec une nouvelle
violence, et avec des effets plus funestes que jamais.
Mais ce serait se tromper etrangement que de croire que le veritable
caractere de la Traite et ses suites inevitables, sont universellement
apprecies. Les debats memorables qui se sont eleves, au sujet de la
Traite, dans la Grande-Bretagne, les ouvrages lumineux qui ont ete
publies sur ce sujet, ont rendu cette grande cause familiere a tous les
habitans des iles Britanniques; mais, sur le continent, et specialement
chez les nations auxquelles nous avons fait allusion plus haut, on ne
saurait en dire autant. Dans ces pays, les particularites relatives au
commerce homicide des esclaves, sont inconnues meme aux classes
eclairees et aux individus les plus remarquables par leurs talens, leur
influence et leurs lumieres. L'ignorance ou l'on est encore sur cette
grande question dans ces pays, peut seule faire excuser l'indifference
avec laquelle on l'envisage. Il faut donc revenir, de nouveau, sur les
details de ce penible sujet. C'est ce que je vais faire d'une maniere
brieve et sommaire. Il faut que, desormais, a tort ou a raison, nul ne
puisse plus arguer du motif d'ignorance. Il faut que ce motif ne puisse
plus etre apporte pour excuse par ces hommes qui, engages dans de
coupables speculations, ou interesses a proteger les speculations des
autres et a servir leurs criminels projets, n'ont pas honte de se livrer a
un commerce affreux qui deshonore le pays qui le tolere. S'ils
continuent a se rendre criminels, ce sera, du moins, avec connaissance
de cause, et l'histoire consignera leurs crimes dans ses pages
inexorables.
Sans doute, c'est un avantage pour la Grande-Bretagne, que, parmi tous
ceux de ses habitans qui ont pu entendre parler de la Traite, il n'en est

pas un qui ignore la veritable nature de ce barbare commerce. Tous les
subterfuges, tous les palliatifs, tous les mensonges tenebreux sous
lesquels on avait voulu voiler ou defigurer les faits, ont ete dissipes, et
aujourd'hui ces faits sont etablis d'une maniere indeniable.
Mais, avant meme que d'irrecusables temoignages fussent venus les
appuyer de tout le poids de la plus complete evidence, il n'y avait,
parmi nous, aucun esprit de bonne foi qui doutat de la verite de ces faits.
Il n'etait pas necessaire de depositions legales, pour prouver les effets
naturels et inevitables d'un commerce de chair humaine,
particulierement dans un pays, comme l'Afrique, divise en un grand
nombre de petites souverainetes, et plonge encore dans les tenebres de
l'ignorance et de la barbarie. Supposons qu'il existe un pays ou des
hommes, des femmes et des enfans sont echanges, non seulement
contre les choses necessaires a la vie, ou contre des objets de peu de
valeur, mais encore contre des liqueurs spiritueuses, contre de la poudre
et des armes a feu; tenez pour certain que ce pays doit etre en proie a
toute espece de crimes, de pillages, de fraudes et de violence. Le chef
d'une peuplade attaquera et ravagera le territoire du chef voisin. S'il se
trouve trop faible pour attaquer ses voisins, sa fureur et son avidite
retomberont sur les sujets places sous sa garde et a l'abri de sa
protection. Mais ces effets homicides et destructeurs ne se borneront
point aux chefs: on verra se reproduire dans chaque individu les
passions, les desirs coupables et la mechancete de la nature humaine.
Le resultat est inevitable et facile a deviner. La mefiance partout; la
securite nulle part; l'homme redoute un ennemi dans l'homme; le plus
fort devore le plus faible, et bientot la societe ne presente plus qu'une
vaste scene ou regnent l'anarchie, le brigandage et la terreur.
Les preuves
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