Lettre à lEmpereur Alexandre sur la traite des noirs | Page 4

William Wilberforce
se fournir
d'esclaves, trompe les esperances qu'ils avaient concues. Cependant le
capitaine negrier devient pressant, le navire est pret a mettre a la voile;
d'une maniere ou d'une autre, il faut que le malheureux fournisse le
nombre d'esclaves qu'il est convenu de fournir, s'il ne veut voir ses
parens emmenes en esclavage. Ainsi, grace a l'influence coupable de la
Traite, les affections domestiques et sociales, les liens meme du sang et
tous les sentimens les plus chers a la nature, deviennent des stimulans
au brigandage et a la depredation. Ainsi l'amour des parens, cette
colonne de l'edifice social, sur laquelle sont fondes la securite et le
bonheur de la grande famille des hommes, la Traite le change en
instrument de cruaute et d'oppression. Tels sont les faits particuliers
relatifs au fleau de la Traite. C'est dans l'histoire des Indes Occidentales

par Mr. Bryan Edwards, qu'il faut lire le tableau general de la Traite,
dans toute sa hideuse horreur. Quoique planteur et partisan de la Traite,
il a eu la franchise de convenir, que, grace a ce fleau, une grande partie
du continent africain n'est qu'un vaste champ de carnage et de
desolation, un desert ou les habitans s'entre-devorent comme des betes
feroces, un theatre de trahison, de fraude, d'oppression et de sang. C'est
ainsi que la Traite a ete appelee par l'un des premiers hommes d'Etat de
la Grande-Bretagne, "le plus grand fleau qui ait jamais afflige la race
humaine." Cependant nous pourrions en dire davantage encore que
nous n'en avons dit.
Apres cette longue enumeration d'horreurs et de crimes, on doit
supposer que nous en avons epuise la liste; mais il nous reste a
mentionner le plus grand de tous ces maux, parce qu'il est la source de
tous les autres. A quelque degre d'horreur que s'elevent tant d'atrocites,
quelle que soit l'etendue de leurs ravages, si l'on pouvait du moins
prevoir un terme a tant de maux, quelque recule que fut ce terme, ce
serait un motif de consolation. Ah! si, du moins, on pouvait esperer que
les principes et les moeurs d'Europe pussent penetrer dans l'Afrique a la
faveur des communications de la population africaine avec les nations
europeennes; si l'on pouvait esperer de voir un jour l'influence de la
civilisation et, surtout, la bienfaisante lumiere du christianisme, briller
dans ces regions couvertes des tenebres de l'ignorance; si l'ordre et les
lois, marchant a la suite des lumieres et de la religion, pouvaient
remplacer, sur ces tristes rivages, le brigandage et la terreur! Mais helas!
c'est la l'un des caracteres les plus deplorables de cette Traite si feconde
en calamites, qu'elle se suffit a elle-meme pour se perpetuer d'une
generation a l'autre, et qu'elle trouve dans sa domination presente le
gage de sa domination future. C'est a l'abri des lois que grandit la
civilisation. La ou la securite n'existe ni pour les personnes, ni pour les
proprietes, il n'y a point de civilisation possible. Mais l'Afrique,
qu'est-ce autre chose qu'un vaste theatre de trahison, de terreur et
d'anarchie? Cet horrible systeme de crime et de brigandage, que, par un
deplorable abus des mots, on a ose appeler un commerce, maintient,
dans un etat permanent d'inquietudes et d'alarmes, le pays ou il exerce
sa coupable influence. Ce n'est que dans la partie des cotes, le long des
rivages de l'ocean, que l'enfant de l'Afrique peut communiquer avec les
peuples plus avances que lui dans la carriere de la civilisation: c'est la

precisement que la Traite a etabli son trone sanglant; c'est la qu'elle a
eleve un mur d'airain pour intercepter tous les progres de l'esprit
humain, tous les rayons de la morale et de la religion. C'est ainsi qu'elle
a mis un embargo sur la civilisation africaine, et a relegue ce vaste
continent dans une prison de degradation et d'ignorance.
De la un phenomene etrange et qui ne s'etait point encore presente dans
les annales du genre humain. Nous y verrons peut-etre la plus forte
preuve des effets devastateurs de ce commerce homicide. Si nous
suivons, avec attention, les progres du genre humain s'elevant d'un etat
d'ignorance et de barbarie a un etat de lumiere et de civilisation, nous
trouverons, et cette observation est generale, nous trouverons que c'est
sur les bords des rivieres, et sur les cotes de la mer, qui, par leur
position geographique, offraient plus de moyens de contact avec les
etrangers, que la civilisation a pousse ses premieres racines. Ainsi,
l'ordre civil, la science sociale, l'agriculture, l'industrie, les sciences et
les arts, ont fleuri, d'abord, sur les cotes, et c'est de la que les
connaissances et les lumieres se sont repandues dans l'interieur.
Malheureusement, le contraire a eu lieu a l'egard de l'Afrique. La, les
habitans des cotes, qui, depuis long-temps, communiquent avec les
nations les plus policees de l'Europe, sont dans un etat complet
d'ignorance
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