Les vrais sous-offs | Page 4

Georges Darien
mises en place sur les remparts, on pouvait faire un simulacre de défense qui leur donnerait droit aux conditions d'une capitulation honorable. Aussit?t dit, aussit?t fait, et quand le baron de Leutrum arriva aux portes de la ville, il fut re?u, à sa grande surprise, par une décharge d'artillerie qui mit quelques-uns de ses hommes hors de combat. Touché lui-même de ce trait d'énergie, il fit tout de suite offrir à ces défenseurs improvisés de leur accorder le traitement qui leur conviendrait. ?Non, répondit Va-de-bon-coeur, nous ne nous rendrons pas que vous n'ayez fait une tranchée, ne f?t-elle que de la longueur de ma pipe.? Leutrum se prêta à la plaisanterie, et après une heure de bombardement assez mollement opéré, il accorda aux assiégés une capitulation qui leur permettait de sortir avec les honneurs de la guerre. Le régiment des infirmes défila alors devant lui, chacun portant, en guise des armes qu'il n'aurait peut-être pas été en état de soutenir, quelque signe de sa maladie ou de sa blessure: celui-ci brandissant sa béquille, cet autre le bras en écharpe, quelques-uns montés sur les épaules de leurs camarades, et ce fut dans cet appareil qu'ils rejoignirent l'armée fran?aise, où ils furent re?us avec de joyeuses acclamations.
N'était-ce pas un sous-off, encore, que ce sergent Dubois, qui, avec le chevalier d'Assas, poussa, à Klostercamp, un cri héro?que et légendaire, qui lui valut la mort: ?A moi, Auvergne, ce sont les ennemis!?
Mais qu'est-il besoin de citer des exemples empruntés à l'histoire du siècle dernier? Sans parler des quatre sergents de la Rochelle, les récentes guerres sont pleines de traits d'héro?sme accomplis par des sous-officiers.
Le 4 juin 1853, à Magenta, l'adjudant Savière du 2e bataillon des zouaves, s'élance sur un porte-drapeau autrichien et à la gloire de s'emparer de l'étendard ennemi.
Le 24 juin 1859, c'est le sergent Garnier, de la 1re compagnie du 10e bataillon de chasseurs, qui s'empare du drapeau du 60e de ligne autrichien.
Au Mexique, à l'affaire du Borezzo, un drapeau est enlevé par le sergent de grenadiers Picarent. Le fourrier Besan?on, le 28 janvier 1865, s'empare d'un drapeau de la division Rojas.
A la bataille de l'Alma, le sergent-clairon Gesland, le poignet brisé par un boulet, se fait amputer, et revient se placer à la tête de ses clairons.
Est-il besoin de retracer les exploits du sergent Blandan en Algérie? La France reconnaissante élevait hier un monument à sa mémoire, et le récit de ses exploits est encore dans toutes les bouches.
C'était aussi un sous-off, que ce sergent Bobillot, tombé au champ d'honneur, dans ce Tonkin dont, au dire de M. Descaves, les Fran?ais ont peur, et où ils ne vont point.
Savez-vous ce qu'il écrivait dans une lettre, la dernière peut-être qu'on ait re?ue de lui:
?Moi, je rêve de quelque grand projet irréalisable, d'une flèche iroquoise, d'une fièvre jaune ou d'un chemin de fer transatlantique.
?... Il para?t qu'il faut passer par la mort pour na?tre à la gloire.
?Je voudrais mourir comme Chénier sur l'échafaud, comme Dolet sur le b?cher, comme Mürger à l'h?pital. Mais l'h?pital est encore si peu. Oh! qu'il vienne une guerre sibérienne, chinoise ou patagonienne, mais qu'elle vienne et que j'y tombe: je me relèverai roi.?
Dans un court billet, écrit à la veille de sa mort, il disait encore:
?J'AI LE PRESSENTIMENT JOYEUX QUE JE NE REVIENDRAI PAS EN FRANCE...?
Et l'illustre sergent Hoff, le héros du siège de Paris, qui attend aujourd'hui, entre le revolver d'honneur qui lui a été offert, et ses bottes déjà graissées pour le départ, l'heure où il faudra marcher pour la Revanche, savez-vous en quelle estime le tiennent ses chefs hiérarchiques?
Le général Le Fl?, dans une lettre datée de 9 mars 1873 raconte ce qui suit:
?Chaque fois que je l'ai vu, il m'a touché par sa simplicité, sa modestie, et j'ajoute: par son désintéressement. Au moment de quitter Paris pour essayer de porter une lettre de moi au maréchal Bazaine, et ayant re?u la promesse d'une récompense de 20,000 francs, s'il me rapportait une réponse à cette dépêche, il me dit: merci, mon général, mais permettez-moi de refuser toute récompense pécuniaire, je ne veux pas d'argent.?
Nous pourrions multiplier à l'infini de pareils exemples. Il n'est pas un de nos régiments qui ne possède les noms de sous-officiers inscrits sur son livre d'or. Nos annales sont remplies d'actes d'héro?sme, car le soldat fran?ais n'a pas son égal au monde. Il sait obéir et mourir pour son pays et il aura toujours pour devise ces deux mots gravés dans son coeur: ?Honneur et Patrie!?
Ne vous rappelez-vous point, M. Descaves, vous qui avez eu l'honneur de porter l'uniforme, avoir entendu, le soir, les conteurs ordinaires des chambrées, enthousiasmer leur auditoire avec le récit dramatique des exploits accomplis par quelqu'un des sous-officiers légendaires dont nous avons cité les noms?
Ah! Ce n'est pas le v?tre qu'ils citeront, soyez en s?r! Ceux qu'ils
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