Les vrais sous-offs | Page 3

Georges Darien
de défendre contre vos prétentions exorbitantes l'ame de la France! Nous vous défendons d'y toucher, vous entendez.?
C'est ce qui s'appelle clouer d'un seul coup le bec à la plume des folliculaires.
Dans le Matin du 9 janvier 1890, M. Jules Simon, jugeant qu'il n'est jamais trop tard pour dire une bonne chose, s'écrie:
?Le collège préparera la caserne, c'est parfait. Que la caserne, à son tour, RAPPELLE UN PEU ET CONTINUE LE COLLèGE.?
Dans l'Eclair du 9 janvier, M. Camille Doucet, de l'Académie fran?aise, dans sa passion pour la considération, reproche à M. Descaves les moyens qu'il y a employés pour s'assurer un succès de mauvais aloi:
?Je n'ai pas lu Sous-Offs. Mais l'auteur a choisi un excellent moyen de forcer l'indifférence et de s'imposer à l'attention publique.?
Dans la République Fran?aise du 9 janvier, M. Albert Delpit, un de nos illustres romanciers, donne l'appréciation suivante:
?Le roman de M. Descaves n'est qu'une lanterne magique, où passent et repassent des bonshommes grotesques et répugnants. Ce sont des caricatures... Je comprends qu'on aille de temps en temps dans un mauvais lieu, mais, vrai! ?a ?me fatiguerait d'y passer ma vie tout entière.?
C'est la le?on de l'expérience.
* * * * *
Assez de citations. Nos lecteurs sont édifiés sur la portée de Sous-Offs. Personne n'a été dupe de ce roman et l'opinion publique s'est chargée d'infliger à M. Descaves le démenti le plus sévère.
C'est une rude le?on, mais elle n'est point complète. A chacune des accusations échappées à une plume aigrie par la rancune, il ne suffit pas de répondre par une négation: une affirmation est nécessaire.
Il est temps d'élever une digue indestructible devant le flot débordant d'injures, d'imputations calomnieuses, qui tente de submerger l'honneur de notre armée.
Aux faits imaginaires avancés par l'invention malade du malsain pamphlétaire, nous allons opposer des faits historiques, des faits indiscutables, des faits qui prouveront qu'aujourd'hui, comme par le passé, il y a dans l'ame du Sous-Offs autre chose que de la sanie et de la boue!
Où M. Descaves trouve couardise et lacheté, nous allons montrer bravoure et héro?sme.
Où M. Descaves trouve concussion et vol, nous allons montrer abnégation et sacrifice.
Où M. Descaves trouve des vices honteux et des moeurs infames, nous allons montrer une tempérance parfois sto?que et de généreuses passions.
Où M. Descaves trouve l'égo?sme le plus abject, nous allons montrer la France!
* * * * *
?On demandait des volontaires pour le Tonkin.
?... Les gradés devaient faire l'objet d'un état ad hoc.
?Au déjeuner des sergents, les fourriers qui venaient d'assister à la lecture du rapport, dans les chambres, divulguèrent l'impression générale:
?--C'est un four. Un seul sous-officier s'est fait inscrire: l'adjudant Rupert.
?--Parce qu'il sait qu'on ne le prendra pas, avec sa maladie.
?--Oui, mais vis à vis des chefs, c'est adroit.
?On discutait surtout l'abstention du seul sergent rengagé que possédat le bataillon, Vaubourgeix.
?--Vaubourgeix! dit quelqu'un, on devrait l'envoyer là-bas d'office. C'est son métier, n'est-ce pas? Mais voilà: ceux qui restent au régiment lui donnent non leur peau, MAIS LE POIL QU'ILS ONT DANS LA MAIN...
?... Quant aux hommes, les quatre compagnies réunies n'en fournissaient que huit. On cita deux caporaux récemment cassés de leur grade, deux engagés volontaires, deux découcheurs tenaces, actuellement en prison, un ivrogne et une forte tête.
?...--Leur Tonkin, on l'a quelque part!
?... Et, sous ce raisonnement en fa?ade, sous ces prétextes décoratifs, une inquiète lacheté s'aménageait, se terrait dans les caves de l'ame, ou bien apparaissait aux fenêtres du for intérieur, aux lucarnes du corps, fardée, tremblant pour la batisse, criant éperduement, par la bouche et par les yeux, son insatiable amour de la peau...?
Sans la crainte d'être accusé de parti pris et d'exagération en affirmant que Sous-Offs représente notre armée, comme un ramassis de laches, jamais nous ne nous serions permis de citer les lignes honteuses qui précèdent.
Nous ne voulons pas les discuter. Notre histoire militaire tout entière crie au mensonge et s'inscrit en faux.
Depuis qu'il y a des sous-officiers, les exemples de courage, les traits d'héro?sme ne se comptent pas.
N'était-ce pas un sous-off, ce grenadier qui, à l'assaut de Prague, monta le premier sur les remparts et assura la capture de la ville par l'héro?que Chevert?
Dans la même campagne (1745 à 1748), lorsque Chevert fut obligé d'abandonner la ville de Moncalvo, il y laissa, dit le duc de Broglie, à qui nous empruntons ces lignes, ses blessés et ses malades, en les recommandant à la clémence du vainqueur, qui, entrant dans la ville sans résistance, n'aurait eu aucune raison pour maltraiter des infortunés. Mais avant que les Piémontais eussent paru devant les remparts, un de ces pauvres abandonnés, un sergent, qui portait le nom de guerre de Va-de-bon-coeur, se soulevant sur son grabat et se retournant vers ses compagnons: ?Camarades, leur dit-il, est-ce que nous allons nous rendre sans souffrir au moins pour deux liards de siège?? Et il leur fit comprendre que, moyennant quelques vieilles pièces de canon rouillées,
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