Les voix intimes | Page 5

J.-B. Caouette
PRESSE CANADIENNE
A L'HONORABLE HECTOR FABRE
Nos bardes tour à tour ont chanté la ramure,
La brise, le soleil, et
l'oiseau qui murmure
En voltigeant de fleur en fleur;
De notre peuple ils ont célébré
l'espérance,
Les qualités, la foi, les vertus, la souffrance,
Le dévoûment et la valeur.
Ils ont, les yeux fixés aux pages de l'Histoire
Redit avec orgueil

l'éclatante victoire
De nos soldats à Carillon;
Et moi, le plus obscur du groupe littéraire,

J'ose venir chanter, d'une voix téméraire,
L'honneur d'un autre bataillon.
Ce bataillon figure en nos belles annales;
C'est lui qui défendit nos
lois nationales
Conte un farouche potentat;
C'est lui qui détrôna l'infâme oligarchie,

Qui, méprisant nos droits, voulait par tyrannie
Régner et posséder l'état!
Il essuya d'abord outrage sur outrage,
L'exil et la prison; mais, sans
perdre courage,
Dans sa lutte il persévéra.
Alors, nos ennemis, plus orgueilleux que
braves,
Cessèrent à regret de mettre des entraves,
Et l'oligarchie expira...
Devant ce bataillon qui s'appelle la Presse,
Chapeau bas, Canadiens!
Et que chacun lui tresse
Une couronne en ce beau jour! [2]
Car en brisant les fers de notre
servitude,
Il s'est acquis des droits à notre gratitude,
A notre estime, à notre amour!
[Note 2: Fête nationale des Canadiens-Français, 24 juin 1888.]
Et depuis lors, veillant comme une sentinelle
A la sécurité de la nef
fraternelle
Qui porte les deux nations,
La Presse jetterait le premier cri d'alarme


Si le tyran d'hier osait reprendre l'arme
Pour briser nos traditions!
Jamais ne sonnera cette heure malheureuse
Où notre beau pays, dans
une guerre affreuse,
Verrait ses fils s'entrégorger.
Non! car les mêmes voeux de paix et
d'espérance
Font battre tous les coeurs de la Nouvelle-France,
Et nul ne songe à se venger!
La Presse canadienne honore notre race;
Elle suit pas à pas la
glorieuse trace
Du grand Bédard, son fondateur;
Comme lui sans faiblesse, elle flétrit
le vice,
Exalte la vertu, flagelle l'injustice,
Défend l'Église et le pasteur.
Elle inspire le goût de la littérature,
Favorise les arts, surtout
l'agriculture,
Cette mère du genre humain.
Toute oeuvre intelligente, honnête,
généreuse,
Tout ce qui fait enfin notre existence heureuse,
Porte l'empreinte de sa main!
Devant ce bataillon qui s'appelle la Presse,
Chapeau bas, Canadiens!
Et que chacun lui tresse
Une couronne en ce beau jour!
Car en brisant les fers de notre
servitude
Il s'est acquis des droits à notre gratitude,
A notre estime, à notre amour!
LA NUIT DE NOËL

A M. J-C TACHÉ, OTTAWA
Au pied de sa couche grossière
Le petit pauvre a mis son bas,
En
murmurant cette prière:
Bon Jésus, ne m'oubliez pas!
Il ne sait point que la misère
Plane au-dessus de son réduit,
Et que
sa malheureuse mère
N'a fait qu'un repas aujourd'hui!
Il ignore donc, à son âge,
Que l'on peut souffrir de la faim,
Et qu'un
firmament sans nuage
Peut devenir sombre demain.
Il ne sait qu'une seule chose:
C'est la grande nuit de Noël,
La nuit
où l'enfant Jésus rose
Apporte des présents du ciel.
Il s'endort sous des draps de laine,
L'un sur l'autre assez mal cousus;

Mais ces draps valent bien l'haleine
Du boeuf qui soufflait sur
Jésus!
Des songes d'or bercent son âme;
Il voit, dans l'ombre qui grandit,

Un esprit aux ailes de flamme,
Voltiger autour de son lit,
Et dans son bas mette un mélange
De fruits vermeils et de bonbons;

Puis le rêveur, d'un geste étrange,
tends les menottes vers ces
dons...
Debout, la mère est là qui pleure,
Le coeur brisé par le chagrin,
Car
pas d'argent dans la demeure,
Et pas un seul morceau de pain.
Un douloureux transport l'agite;
Son regard se voile un instant;
Son
coeur à se rompre palpite,
Et son esprit va délirant:
«Dieu donne au riche l'opulence
Avec la joie et le bonheur;
Au
pauvre, il donne l'indigence
Avec l'envie et la douleur!
«Le riche emplit de friandises
Le bas soyeux de son bambin
Et moi
je n'ai que des reprises
A faire au bas de l'orphelin...

«Mais je blasphème, ô Dieu! pardonne,
Dit-elle, en tombant à genoux!

Ma pauvre langue déraisonne,
Car c'est toi qui veilles sur nous.
«Sombre ou rose est notre existence:
De ton amour c'est le secret;
A
notre âme il faut la souffrance,
Comme à l'or il faut le creuset.»
Minuit sonne. La cloche appelle
Le peuple auprès du saint berceau;

La veuve, à cette voix si belle,
Éprouve un sentiment nouveau.
«Pendant que mon ange sommeille,
Fait-elle, en essuyant ses yeux,

Allons à la crèche vermeille
Adorer l'envoyé des cieux.»
Dans le temple de la prière
Elle pénètre en chancelant,
Car la
douleur et la misère
Ont rendu son corps défaillant.
Près d'elle, un homme charitable
qui compte déjà de longs jours,

Devine, à son air lamentable,
Qu'elle végète sans secours.
Il la connaît et la vénère,
Et désirant l'aider un peu
Il sort et vole à
la chaumière
De celle qui prie au saint lieu.
Sans effort il ouvre la porte,
La porte fermée au loquet,
Dépose le
falot qu'il porte
Et met sur la table un paquet.
Il va sortir, quant la voix fraîche
De l'enfant bredouille tout bas:

«Le bon Jésus sort de la crèche
pour emplir tous les petits bas!»
L'homme, ému par ce songe étrange,
Fuit et revient en quelques
bonde
Glisser dans le bas du bel ange
Des pièces d'or et des
bonbons...
Il
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