Les vivants et les morts | Page 7

Anna de Noailles
donné tous les rayons du temps,
Les senteurs que l'azur épanche,
Et la lueur que fait, dans le Sud
éclatant,
Le soleil sur les maisons blanches!
Je n'ai jamais repris ce que je vous donnais,
Si bien que dans ces jours funestes
Je suis un étranger que nul ne
reconnaît,
A qui rien du monde ne reste.
Je vous avais donné les Chevaux du Matin
Qu'un dieu fait boire aux eaux d'Athènes,
Et le sanglot qui naît, sur le
mont Palatin,
Du bruit des plaintives fontaines.
Parfois, quand j'apportais entre mes faibles doigts
Le printemps qui luit et frissonne,
Vous me disiez: «Je n'ai de désir
que de toi,
Coupe tes mains et me les donne.»
Mais ces dons exaltés n'étaient pas suffisants,
La rose manque à la guirlande,
Je conservais encor la pourpre de mon

sang,
Ce soir je vous en fais l'offrande.
--O mon ami, prenez ce sang si gai, si beau,
Si fier, si rapide et si sage,
Qui, dans ses bonds légers, reflétait les
coteaux,
Et la nuée à son passage!
Que de mon coeur fervent à vos timides mains
Il coule, abondant et sans lie,
Afin que vous ayez, dans le désert
humain,
Une coupe toujours emplie.
Déjà mon front plaintif est moins brillant qu'hier,
Mais la douleur ne rend pas laide,
Le visage est sacré quand il est
âpre et fier
Comme les sables de Tolède;
Un visage est sacré quand il s'épuise et meurt
Comme un sol que l'été dévaste,
Sur qui les lourds pigeons et les
ombres des fleurs
Font des taches sombres et vastes.
Un destin est sacré quand il a contre lui
Toute une foule qui s'élance,
Et que, sous cet affront, il s'enivre, et
qu'il luit
Comme l'olivier et la lance!

Un destin est sacré quand il est ce soldat
Qu'un guerrier somme de se rendre,
Et qui, pressant toujours son fer
entre ses bras,
S'écrie en riant: «Viens le prendre!»
--Je ne rendrai qu'à vous les armes de mon coeur.
Mes dieux qui sont
en Crète et dans l'île d'Egine,
Permettent que l'extrême et fidèle
langueur
A cet excès de grâce et de douceur s'incline,
Mais nul
autre que vous, sur les plus durs chemins,
Ne me verra pliant sous
l'angoisse divine,
Laissant tomber mon front, laissant pendre mes
mains,
Emmêlant mes genoux, telle qu'on imagine
Cléopâtre
enchaînée au triomphe romain...
O MON AMI, SOUFFREZ...
O mon ami, souffrez, je saurai par vos larmes,
Par vos regards éteints,
par votre anxiété,
Par mes yeux plus puissants contre vous que des
armes,
Par mon souffle, qui fait bouger vos volontés,
Par votre ardente voix qui s'élève et retombe,
Par votre égarement,
par votre air démuni,
Que ma vie a sur vous cet empire infini
Qui
vous attache à moi comme un mort à sa tombe!
O mon ami, souffrons, puisque jamais le coeur
Ne convainc qu'en
ouvrant plus large sa blessure;
Puisque l'âme est féroce, et puisqu'on
ne s'assure
De l'amour que par la douleur!
NOUS N'AVIONS PLUS BESOIN DE PARLER
Nous n'avions plus besoin de parler, j'écoutais
Le rêve sillonner votre
pensif visage;
Vous étiez mon départ, mes haltes, mes voyages,
Et
tout ce que l'esprit conçoit quand il se tait.
L'emmêlement des blés courbés, des ronciers même,
N'était pas plus

serré ni plus inextricable
Que notre coeur uni, qui, comme le doux
sable
Joignant le grain au grain, ne semble que lui-même.
--Je me souviens surtout de ces soirs de Savoie
Où nos regards,
pareils à ces vases poreux,
A ces alcarazas qu'un halo d'onde noie,

Scintillaient de plaisir, et se livraient entre eux
L'ineffable secret du
rêve et de la joie.
Soirs d'Aix! Soirs d'Annecy, ô villes renommées,
Qui mêlez aux
senteurs des îles Borromées
Je ne sais quel plus franc et plus candide
espoir,
Que j'aimais vos toits bleus, d'où montait la fumée,
Les
cloches des couvents, qui tissaient dans le soir
De longs hamacs
d'argent où l'âme inanimée
S'abandonnait, tandis que flottait, chaud,
précis,
Le subjuguant parfum du café qu'on roussit.
Je revois les soirs d'Aix, l'auberge et ses tonnelles,
La montagne si
proche, accostant le ciel pur,
Les frais pétunias entassés sur le mur,

Le char rustique, avec le cheval qu'on dételle.
Et les lacs! Soif des coeurs vous buvez à cette eau
Où passe comme
un ange une barque à deux voiles!
Nous répétions tous deux, sans
proférer de mots,
L'hymne éternel que dit le silence aux étoiles.
Mon ami, votre esprit et ses nobles soupirs
Semblait plus que le mien
altéré de sublime;
Mais déjà vos pensers recherchaient leurs loisirs;

Et la paix, mollement, a comblé vos abîmes...
--C'est en moi seulement que rien ne peut finir.
J'AI VU A TA CONFUSE...
J'ai vu à ta confuse et lente rêverie,
A ton front détourné, douloureux
et prudent,
Que mon visage en pleurs, qui s'irrite et qui prie,
Te semble un masque ardent.

En vain ta voix m'enchante et ton regard m'abreuve,
Et mon coeur
éclatant se brise dans ta main;
Tu cherches vers le ciel quelque
invisible preuve
De mon désir humain.
Tu cherches quel étroit, quel oppressant symbole,
Mêlé de calme
espoir, de silence et de Dieu,
Joindrait mieux que ne font les pleurs
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